But de ce blog


Le refus de procréer étant encore un tabou volontiers passé sous silence par les médias dominants, ce blog a pour vocation de montrer que le non-désir d’enfant ou le dégoût d’être né sont en réalité des invariants anthropologiques qui se manifestent à toute époque à travers les œuvres littéraires, philosophiques et même religieuses. Ainsi le but de tout bouddhiste est-il de sortir à jamais du cycle des naissances… Pour paraphraser le VHEMT : Puissions-nous rire longtemps et disparaître !

19 juin 2012

Lettre H



Une campagne contre la procréation a été lancée récemment et fait l’objet d’un large débat dans le monde arabe, en particulier parmi ceux qui pensent que le monde n’est plus un lieu propice à la vie. Il est donc injuste d’engendrer d’innocents enfants simplement pour satisfaire un fantasme ou un désir. La campagne est connue sous le nom d’« Antinatalisme » et est gérée et coordonnée par un groupe de jeunes Arabes qui s’intéressent à ce sujet. Les fondateurs de la campagne sont l’Egyptien Mahmoud Maher Abdel Hadi et un homme tunisien. Abdel Hadi a commencé son projet en écrivant des articles appelant à la cessation de la reproduction.
[Abdel Hadi]. Egypte XXI°. Extraits d’un article publié sur le site Al-Arabiya (English) le 23 août 2017. http://english.alarabiya.net/en/media/digital/2017/08/23/New-Arab-campaign-lunched-against-reproduction.html


Le raz de marée d’une surpopulation famélique menace notre planète d’éclatement. Des enfants, pour quoi ?
Gisèle Halimi. France XX°. Citée in : Xavière Gauthier, Naissance d’une liberté.


~ Tout ce bas monde ne vaut pas plus qu’un sou.
~ Je sens que l’abolition de mon être est le plus noble don à me faire.
Husayn Mansûr Hallâj, Tuez-moi donc, mes fidèles camarades. Perse X°


Lors d’une conversation tenue à Paris en 1992, Peter Handke déclara : « Souvent, on est vraiment désespéré et on pense, ce qu’on ne peut pas penser, que l’humanité est un calamiteux accident de la Création, mais on pense ensuite qu’on ne peut pas penser comme ça. (rires) C’est tout ce que je sais. » (in : Noch einmal vom Neunten Land. Peter Handke im Gespräch mit Joze Horvat, p. 88). Handke effleure l’idée anthropofuge selon laquelle il eût été mieux que les êtres humains n’aient jamais commencé à exister, mais aussitôt, un tabou intériorisé – peut-être à cause de l’élan de gratitude que l’on reçoit pour ainsi dire avec le lait maternel – le pousse à se rétracter et l’empêche de s’agripper fermement à sa pensée.
[Peter Handke]. Autriche XX°. Extraits de : Karim Akerma, Antinatalismus – Ein Handbuch.


L’anus profond de Dieu s'ouvre sur le Néant,
Et, noir, s’épanouit sous la garde d'un ange.
Assis au bord des cieux qui chantent sa louange,
Dieu fait l’homme, excrément de son ventre géant.
Pleins d’espoir, nous roulons vers le sphincter béant
Notre bol primitif de lumière et de fange ;
Et, las de triturer l’indigeste mélange,
Le Créateur pensif nous pousse en maugréant.
Un être naît : salut ! […]
C’est la Vie : on s’y jette, éperdu, puis on tombe
Et l’Orgue intestinal souffle un adieu distrait
Sur ce vase de nuit qu’on appelle la tombe.
Edmond Haraucourt alias Le sire de Chambley, La légende des sexes. France XIX°


~ Je voudrais n’être jamais née… ni là ni ailleurs !
~ La pure expérience lui avait déjà enseigné que, dans certaines circonstances, il y avait une meilleure chose que de mener une bonne vie, c’était d’être dispensé de mener quelque vie que ce soit. Comme tous ceux qui ont été prévenus par la souffrance, elle pouvait, selon les mots de Sully-Prudhomme, entendre une condamnation pénale dans le décret « Tu naîtras », particulièrement si s’adressant à sa postérité potentielle. Cependant, telle est la vulpine sournoiserie de Dame Nature, que, jusqu’à présent, Tess avait été amenée par son amour pour Clare à oublier qu’il puisse déboucher sur des vitalisations qui infligeraient à d’autres ce qu’elle avait déploré comme une calamité pour elle-même.
Thomas Hardy, Tess of the d’Urbervilles. Angleterre XIX°

~ - Si les enfants causent tant de problèmes, pourquoi les gens en ont-ils ?
- Oh… parce que c’est une loi de la nature.
- Mais nous ne demandons pas à naître ?
- Non, en effet.
~ - J’aurais voulu ne pas naître !
- Tu n’y pouvais rien, mon chéri.
- Je pense que chaque fois que naissent des enfants non-désirés, on devrait les tuer directement.
~ Le docteur dit qu’il y a de tels garçons surgissant parmi nous – des garçons d’une espèce inconnue de la génération précédente – la conséquence de nouveaux regards sur la vie. Ils semblent voir toutes ses terreurs avant d’être assez vieux pour avoir la puissance de leur résister. Il dit que c’est le début du futur désir universel de ne pas vivre.
Thomas Hardy, Jude the Obscure. Angleterre XIX°


~ Il est à la fois injuste et déraisonnable de procréer.
~ Les humains sont les créatures les plus destructrices sur la planète. Nous causons un nombre énorme de morts animales (à la fois directement et indirectement). Nous détruisons des habitats. Nous endommageons l’environnement. […] La meilleure façon d’arrêter la destruction est d’enlever la force destructrice ; d’enlever les humains en s’abstenant de procréer. Bref, la colossale quantité de mal causé par les humains nous donne une raison morale de boycotter l'espèce humaine.
~ Souvent les enfants, avec ressentiment, font remarquer à leurs parents qu’« ils n'ont pas choisi de naître ». Ils ont raison. Il est d’ordinaire injuste d’assujettir quelqu’un à quelque chose ; nous devons d’ordinaire obtenir le consentement d’une personne avant de faire quoi que ce soit qui va significativement l’affecter. Assujettir quelqu’un à la vie est significativement l’affecter sans son consentement préalable.
~ Procréer parce que l’on croit que la vie est un bénéfice pour ceux qui y sont assujettis est faire un pari très réel. Tout d’abord, on parie que la vie est réellement un bénéfice, dans l’ensemble, pour l’individu qui la vit. Deuxièmement, c’est quelqu'un d'autre qui sera préjudicié si votre pari échoue – quelqu’un dont vous n’avez pas le consentement. Troisièmement, on ignore les maux que la procréation cause à d’autres.
~ Même si on n’a aucun souci des autres animaux, de l’environnement, ou de l’enfant qu’on a l’intention de créer, et qu’on se focalise seulement sur soi-même, avoir des enfants est plus que probablement une mauvaise idée. La plupart des gens supposent qu’avoir des enfants est un exercice gratifiant, et même un ingrédient nécessaire d’une vie complète et heureuse. Mais un regard froid sur les faits suggère autre chose. Les enfants sont rarement une contribution nette au niveau de bonheur (subjectif) de ses parents (et souvenons-nous que les gens tendent à surévaluer leur niveau de bonheur). Dans des enquêtes anonymes, la plupart des parents déclarent regretter avoir des enfants. […] Seul 5% des hommes et un tiers des femmes disent qu’avoir des enfants a amélioré leur niveau de bonheur1. Des études ont montré qu’alors que le bonheur des individus augmente pendant qu’ils attendent un bébé il décline brusquement une fois que l’enfant est né. Et il est évident que plus vous avez d’enfants plus vous avez de chances d’être malheureux2. Le niveau de bonheur ne commence à remonter que lorsque le dernier enfant quitte la maison3.
~ Il nous semble, dès lors, qu'il vaut mieux ne pas avoir d’enfants.
Gerald Harrison & Julia Tanner, Better not to have children (article publié in : Think – Philosophy for everyone, 2011, volume 10, issue 27, pp. 113-121, Royal Institute of Philosophy – Cambridge University Press). Angleterre XXI°
1. Kate Stanley, Laura Edwards, “The Lever Faberge Family Report 2003 : Choosing Happiness ? Becky Hatch/Institute of Public Policy Research – enquête menée sur 1.500 couples.
2. Professeur Daniel Gilbert à la conférence “Happiness and its Causes”, 8–9 mai 2008.
3. Daniel Gilbert, Stumbling on Happiness”, London, Harper Press, 2006, p. 221.

Il y a au moins deux devoirs évidents qui tendent à rendre généralement mauvais les actes procréatifs : le devoir évident de prévenir la douleur et le devoir évident de ne pas affecter gravement une autre personne sans son consentement préalable. Toutes choses étant égales par ailleurs, ces deux devoirs génèrent un devoir de ne pas procréer.
Gerald Harrison, Antinatalism, asymmetry, and an ethic of prima facie duties (article publié in : South African Journal of Philosophy, 2012). Angleterre XXI°


~ Il serait donc plus raisonnable d’arrêter au plus tôt le développement du monde ; et le mieux aurait été de l’anéantir au moment même de sa première apparition.
~ Le bonheur positif n’est pas le but de l’évolution universelle. Aucune période de l’évolution ne nous le montre réalisé, et nous découvre plutôt que son contraire, le malheur et la souffrance, se produisent seuls, et que le progrès du monde, en détruisant l’illusion et en développant la conscience, ne fait qu’accroître le mal.
~ L’existence est un mal.
~ [Le monde est] absolument malheureux, […] il est pire que le néant.
~ Ce vouloir, contraire à la raison, qui est responsable de l’existence du monde, ce vouloir funeste doit être ramené au non-vouloir, à l’absence de douleur, que le néant seul peut assurer.
Eduard von Hartmann, Philosophie de l’inconscient. Allemagne XIX°. Traduction par D. Nolen (1877)

~ Si, au moment où le monde se produit, il y a en Dieu quelque chose comme une conscience, l’existence du monde serait une impardonnable cruauté, et le développement de ce monde une inutilité absurde.
~ Ce qui est préférable de lexistence ou de la non-existence du monde. Après un examen sérieux, nous avons dû répondre que toute existence dans le monde porte avec soi plus de peine que de plaisir ; quil aurait été préférable que le monde n’existât pas.
Eduard von Hartmann. Allemagne XIX°. Cité in : Etienne Metman, Le pessimisme moderne : son histoire et ses causes.

Parmi les continuateurs et les émules de Schopenhauer, il en est un, Edouard de Hartmann, qui jouit d’une véritable célébrité en Allemagne. Imitant, en cela, la plupart des disciples du maître, il a profondément modifié sa doctrine ; mais il tient, comme lui, le monde pour mauvais, comme lui cherche dans l’anéantissement de la vie le seul remède aux misères de l’existence.
[Eduard von Hartmann]. Allemagne XIX°. Extrait de : Etienne Metman, Le pessimisme moderne : son histoire et ses causes.

~ La philosophie d’Hartmann a beaucoup de similitudes avec celle de Schopenhauer. Pour Hartmann, comme pour Schopenhauer, la douleur et la souffrance associées à la vie dépassent de loin ses plaisirs. Et pour Hartmann aussi les maux de l’existence sont fondamentaux et irrémédiables. Il diffère de Schopenhauer en ce qu’il cherche une solution collective plutôt qu’individuelle pour vaincre l’existence. […] Mais comment précisément cela pourrait-il arriver ? Hartmann rejette toutes les approches individuelles, le suicide par exemple, ou le renoncement à la volonté (Schopenhauer), et cherche une solution collective. La libération de quelques individus du joug de la volonté ne signifie pas grand-chose puisque la masse de l’humanité et les autres existences persisteront. Et l’objectif d’Hartmann n’est rien moins que de mettre fin à toute existence. Par conséquent, il faut mettre fin à l’existence par une résolution collective et planétaire. Il envisage en effet non seulement la fin de l’existence humaine mais de toutes les formes de vie et de leurs sources pour s’assurer que la vie et spécialement la vie humaine ou consciente ne puisse pas recommencer depuis le début. […] Pour Hartmann, la tentative de mettre fin à l’existence est un acte altruiste destiné à en finir à la fois avec l’immoralité de la vie autant qu’avec sa douleur et ses souffrances.
~ Cependant, puisque Hartmann n’envisage rien moins que la cessation complète de toute vie, il est obligé de chercher à faire coïncider la fin des êtres humains avec la fin de toute vie. Il semble concevoir la relative prédominance des êtres humains de deux manières. D’abord, que le développement économique et technologique du monde, incluant la croissance de la population humaine, progresserait au point de marginaliser et de diminuer très considérablement le reste de la nature, et ensuite qu’il donnerait ainsi aux humains le pouvoir d’abolir le reste de la nature. A y regarder de près et à la lumière de plus d’un siècle de croissance démographique, de dégradation de l’environnement et de progrès technologique de l’humanité, ces idées ne semblent plus aussi fantaisistes qu’à première vue.
[Eduard von Hartmann]. Allemagne XIX°. Extraits de : Ken Coates, Anti-natalism : rejectionist philosophy from Buddhism to Benatar.

~ Comment, exactement, Hartmann concevait-il le pessimisme ? [...] Il le comprend dans les mêmes termes généraux que Schopenhauer : comme la thèse que le néant est meilleur que l’être, que la non-existence est préférable à l’existence. Hartmann gage, comme Schopenhauer, qu’aucune personne saine d’esprit ne choisirait de vivre sa vie à nouveau ; elle préférerait plutôt l’anéantissement, le néant complet. La raison pour laquelle le néant est meilleur que l’être, argumente Hartmann, c’est que la vie apporte plus de souffrance que de bonheur.
~ [Pour Hartmann], la thèse leibnizienne est compatible avec le pessimisme. [...] Bien que ce monde existant soit meilleur que tous les autres mondes possibles, sa non-existence serait meilleure que son existence.
~ Récapitulant tous ses arguments, Hartmann tire enfin l’accablante conclusion générale que la vie, telle que mesurée par le calcul hédonique, ne vaut pas la peine d’être vécue.
~ Le point culminant du pessimisme eudémonique de Hartmann survient avec sa fantastique théorie de la rédemption. [...] Hartmann enseigne que nous n’atteindrons la délivrance complète de la souffrance – l’état de parfaite non-douleur – que lorsque nous, l’ensemble de l’humanité, déciderons collectivement de nier la volonté. [...] En éradiquant la volonté elle-même, nous détruisons donc la source même de l’existence, et ainsi nous créons le néant. Avec le néant, nous atteignons notre but ultime : le nirvana, la non-douleur totale. La rédemption aura donc lieu quand l’humanité se chargera de rectifier la pire erreur jamais faite – la décision primordiale de la volonté de venir à l’existence.
[Eduard von Hartmann]. Allemagne XIX°. Extraits de : Frederick C. Beiser, Weltschmerz : Pessimism in German Philosophy 1860-1900.


Je vous offre un laboratoire, vous plancheriez sur quoi en priorité ?
– J’espère ne pas vous choquer mais j’aimerais créer un virus « stérilisant ». Je m’explique : pour que tout le monde puisse vivre de la même manière que nos sociétés dites « développées », il faudrait plusieurs planètes. Je pense que la surpopulation est l’un des plus grands maux de cette Terre. Je préfère privilégier une certaine qualité de vie plutôt que la quantité.
Pascal Hauteclair (biologiste et naturaliste), interview (in revue scientifique Athena, n°320, mai 2016). Belgique XXI°


L’espèce humaine n’est qu’une écume chimique sur une planète de taille moyenne, orbitant autour d’une étoile très moyenne dans la banlieue extérieure d’une des cent milliards de galaxies. Nous sommes tellement insignifiants que je n’arrive pas à croire que l’univers tout entier existe dans notre intérêt.
Stephen Hawking, interview par Ken Campbell (Reality on the Rocks: Beyond Our Ken, 1995). Angleterre XX°

Je pense que l’on devrait considérer les virus informatiques comme une forme de vie. Peut-être cela révèle-t-il quelque chose sur la nature humaine, que la seule forme de vie que nous ayons créée jusqu’ici soit purement destructrice. On peut dire que nous avons créé la vie à notre propre image.
Stephen Hawking, Life in the Universe (conférence, 1996). Angleterre XX°

Au cours des deux cents dernières années, la croissance de la population est devenue exponentielle ; c’est-à-dire que la population croît selon le même pourcentage chaque année. Actuellement, le taux est d’environ 1,9% par an. Cela peut ne pas sembler beaucoup, mais cela signifie que la population mondiale double tous les quarante ans. [...] Si la croissance de la population [...] se poursuit à [son] rythme actuel, d’ici l’an 2.600, la population mondiale se tiendra serrée épaule contre épaule. [...] Il est clair que la croissance exponentielle actuelle ne peut pas continuer indéfiniment. Alors que va-t-il se passer ? Une possibilité est que nous nous exterminions complètement par quelque désastre, tel qu’une guerre nucléaire. Il y a une mauvaise blague qui dit que la raison pour laquelle nous n’avons pas été contactés par des extraterrestres est que, quand une civilisation atteint notre stade de développement, elle devient instable et se détruit elle-même.
Stephen Hawking, The Universe in a Nutshell. Angleterre XXI°

~ Ce vaste monde […] est tour à tour gentil et cruel.
~ Nous ne sommes rien de plus que des machines biologiques.
~ Selon le peuple Boshongo d’Afrique centrale, au commencement, il n’y avait que l’obscurité, l’eau et le grand dieu Bumba. Un jour, Bumba, souffrant de maux d’estomac, a vomi le soleil. Avec le temps, le soleil a asséché une partie de l’eau, faisant apparaître la terre. Mais Bumba souffrait toujours, et vomit encore. Il vomit la lune, les étoiles et ensuite quelques animaux : le léopard, le crocodile, la tortue et enfin l’homme. […] Dans la légende maya, le Créateur, malheureux parce qu’il n’y avait personne pour chanter ses louanges, créa la terre, les montagnes, les arbres et la plupart des animaux. Mais les animaux ne pouvaient pas parler, et il a donc décidé de créer les humains. Il les fit d’abord avec de la boue et de la terre, mais ils ne proféraient que des sottises. Il les laissa se dissoudre et essaya de nouveau, cette fois en façonnant les gens à partir de bois. Ces gens étaient ennuyeux. Il décida de les détruire, mais ils s’échappèrent dans la forêt, subissant des dommages en cours de route qui les transformèrent légèrement, créant ce que nous appelons aujourd’hui des singes. Après ce fiasco, le Créateur tomba finalement sur une formule qui fonctionnait et construisit les premiers humains à partir de maïs blanc et jaune. […] Les mythes de création comme ceux-ci tentent tous de répondre aux questions que nous abordons dans ce livre : pourquoi y a-t-il un univers, et pourquoi l’univers est-il tel qu’il est ?
Stephen Hawking, The Grand Design. Angleterre XXI°
Note : il est révélateur que les deux mythes anthropogoniques choisis par Stephen Hawking pour illustrer son propos soient particulièrement négatifs à l’égard de la création et du créateur. La première est totalement fortuite, issue d’une souffrance et assimilée à une substance ordurière, tandis que le second se caractérise par sa faiblesse, son narcissisme et sa cruauté, à l’instar du mauvais démiurge des Gnostiques. De toute évidence, nous suggère le cosmologiste, il eût mieux valu qu’une telle création et un tel créateur n’existent pas.

Nous n’avons qu’à nous regarder pour voir comment une vie intelligente pourrait se développer en quelque chose que nous ne voudrions pas rencontrer.
Stephen Hawking, Into the Universe with Stephen Hawking (documentaire, 2010). Angleterre XXI°

Nous risquons de nous auto-détruire par notre cupidité et notre stupidité. Nous ne pouvons pas rester à nous contempler le nombril sur une petite planète de plus en plus polluée et surpeuplée.
Stephen Hawking, interview par Larry King (CNN, 10 septembre 2010). Angleterre XXI°

Notre planète est un vieux monde, menacé par une population toujours croissante et des ressources limitées.
Stephen Hawking. Angleterre XXI°. Cité in article publié sur le site du Daily Mail (17 mars 2014).

Si vous regardez l’histoire, le contact entre les humains et des organismes moins intelligents a souvent été désastreux pour ceux-ci, et les rencontres entre les civilisations ayant des technologies avancées et celles ayant des technologies plus primitives se sont mal passées pour les moins avancées. […] Une civilisation [extraterrestre] lisant un de nos messages pourrait avoir sur nous une avance de plusieurs milliards d’années. Si c’est le cas, ils seront vastement plus puissants, et ne nous accorderont peut-être pas beaucoup plus de valeur que nous n’en accordons aux bactéries.
Stephen Hawking. Angleterre XXI°. Cité in article publié sur le site du Time (22 juillet 2015)

Nous ne sommes certainement pas devenus moins cupides ou moins stupides. Il y a six ans, je mettais en garde contre la pollution et le surpeuplement : la situation s’est aggravée depuis. La population a augmenté d’un demi-milliard depuis notre dernière interview, sans aucune fin en vue. A ce rythme, elle sera de onze milliards d’ici 2100.
Stephen Hawking. Angleterre XXI°. Cité in article publié sur le site du National Geographic (29 juin 2016).

Nous vivons à une époque périlleuse. Notre planète et l’espèce humaine font face à de multiples défis. Ces défis sont mondiaux et graves – le changement climatique, la production alimentaire, la surpopulation, la décimation des autres espèces, les maladies épidémiques, l’acidification des océans.
Stephen Hawking, Our attitude towards wealth played a crucial role in Brexit. We need a rethink (article publié sur le site du journal The Guardian, 29 juillet 2016). Angleterre XXI°

Nous faisons face à des défis environnementaux terrifiants : changements climatiques, production alimentaire, surpopulation, décimation des autres espèces, maladies épidémiques, acidification des océans. Ensemble, ils nous rappellent que nous sommes au moment le plus dangereux de l’évolution de l’humanité. Nous avons maintenant la technologie pour détruire la planète sur laquelle nous vivons, mais nous n’avons pas encore développé la capacité de nous en évader.
Stephen Hawking, This is the most dangerous time for our planet (article publié sur le site du journal The Guardian, 01 décembre 2016). Angleterre XXI°

Je crois que nous avons atteint le point de non-retour. Notre Terre devient trop petite pour nous, la population mondiale augmente à un rythme alarmant et nous sommes en danger d’autodestruction.
Stephen Hawking, interview (Wired, décembre 2017). Angleterre XXI°


Il y avait une fois deux amoureux qui avaient projeté de construire une petite maison d’été en forme de temple antique, destiné à abriter toutes les joies délicates et pures. [...] Donc, par un après-midi sans nuages, rafraîchi par la brise, Adam Forrester et Lilias Fay partirent à l’aventure sur le vaste domaine dont ils allaient ensemble devenir possesseurs, dans le dessein de chercher un emplacement approprié pour leur temple du bonheur. [...] Mais, se mettant en route en même temps que le couple juvénile, une forme sombre les suivit, drapée dans un manteau de velours noir qu’on aurait pu prendre pour un drap mortuaire et coiffée d’un chapeau tel qu’on en porte aux funérailles. [...] C’était un parent proche de Lilias Fay, homme âgé, du nom de Walter Gascoigne, depuis longtemps accablé d’une tristesse qui s’exaspérait parfois en aliénation mentale, et portait toujours la teinte d’une certaine déraison. Quel contraste entre nos jeunes pèlerins du bonheur et cet associé importun ! [...] Ils voltigeaient comme l’Espoir et la Joie traversant la vie la main dans la main ; lui, morne silhouette, les serrait de près, symbole de toutes les influences funestes que la vie pouvait répandre sur eux. Les trois voyageurs s’étaient à peine engagés sur leur chemin qu’ils atteignirent un endroit dont le charme plut à la douce Lys. Ils s’arrêtèrent. « Quel lieu plus agréable pourrons-nous trouver ? » dit-elle. « Pourquoi chercher plus loin l’emplacement de notre temple ? » [...] « Oui », dit Adam, « nous pourrions chercher toute la journée et ne rien trouver de plus joli. Construisons notre temple ici. » Mais le vieillard maussade, se postant sur le lieu même qu’ils se proposaient de couvrir d’un dallage de marbre, secoua la tête et fronça les sourcils. [...] « Non, pas ici », s’écria le vieux Walter Gascoigne. « Ici, il y a longtemps, d’autres mortels ont bâti leur temple du bonheur ; cherchez ailleurs. » « Quoi ! » s’écria Lilias Fay. « D’autres que nous ont-ils jamais projeté pareil temple ? » « Ma pauvre enfant ! » répondit le morne personnage, « sous une forme ou sous une autre, tout mortel a rêvé votre rêve. » Il raconta alors aux amoureux qu’une construction – non pas un temple antique, mais une demeure – s’élevait là autrefois, et qu’un hôte en vêtements de deuil s’y était installé avec les habitants, restant toujours assis au coin de l’âtre et empoisonnant toutes leurs joies. Sous cette description figurée, Adam et Lilias comprirent que le vieillard parlait de la douleur. Il ne dit rien qui ne puisse s’inscrire dans l’histoire de presque tous les foyers ; cependant les jeunes gens sentirent qu’aucun rayon de soleil ne devait tomber là où la douleur humaine avait laissé une marque aussi profonde, que du moins aucun temple de la joie ne devait y être construit. « C’est très triste », dit Lys, avec un soupir. [...] « Voici, voici le lieu ! » s’écrièrent les deux amoureux, d’une seule voix, lorsqu’ils arrivèrent à un palier sur le bord d’une cascatelle. « Ce vallon est fait à point pour notre temple. » [...] Hélas ! Il y avait eu là une infortune, et plus. Une centaine d’années auparavant, un jeune homme avait attiré là une jeune fille qui l’aimait, et l’y avait égorgée. [...] Ils repartirent, jeunes pèlerins, en quête de ce que des millions d’êtres humains – tous les enfants de la terre – ont poursuivi tour à tour. Lys et son fiancé devaient-ils réussir mieux que ces millions de créatures ? Pendant longtemps il ne sembla pas qu’il en fût ainsi. La forme lugubre du vieux fou se glissait derrière eux et, à chaque endroit qui leur paraissait désirable, il associait quelque histoire de crime ou de souffrance, si déchirante que ses auditeurs ne pouvaient jamais plus concevoir aucune joie possible là où elle s’était passée. Tantôt c’était une femme en pleurs s’agenouillant devant son enfant qui la repoussait du pied. Tantôt c’était une pauvre vieille désespérée qui avait invoqué le Malin, et avait reçu en retour une âme vouée au mal ; tantôt c’était un enfant nouveau-né, tendre fleur de vie, qu’on avait trouvé mort avec la marque des doigts de sa mère sur sa gorge ; tantôt c’étaient, sous un chêne déchiqueté, deux amoureux qui avaient été frappés par la foudre – les deux cadavres noircis avaient été trouvés enlacés. L’affreux Gascoigne avait le don de connaître tous les maux et toutes les horreurs qui avaient défiguré le sein de notre mère, la Terre ; et quand sa voix sépulcrale s’était tue, on semblait avoir recueilli la prophétie des malheurs futurs aussi bien que les récits du passé. A voir la tristesse empreinte sur la physionomie des deux pèlerins amoureux, on aurait cru qu’ils cherchaient, non pas le temple de la joie terrestre, mais une tombe pour eux et leur postérité. « Trouverons-nous lieu au monde », s’écria Adam Forrester, découragé, « où élever notre temple du bonheur ? » « Y en a-t-il un au monde ? » répéta Lilias Fay. [...] « Ah ! vous vous posez cette question ? » dit leur compagnon, un sourire grimaçant se dessinant sur ses traits sombres. « Cependant, il y a un endroit où vous pourrez élever votre temple. » Comme le vieillard prononçait ces paroles, Adam et Lilias jetèrent négligemment les yeux autour d’eux et remarquèrent que le lieu où ils se trouvaient possédait un charme tranquille, qui convenait bien à leur état d’esprit présent. [...] « C’est ici que nous érigerons notre temple », dirent-ils ensemble, avec la conviction ferme qu’ils avaient enfin trouvé l’emplacement. Cependant, en poussant cette exclamation, le jeune homme et Lys se tournèrent, pleins d’appréhension vers leur sombre associé, n’osant espérer qu’aucun cas d’affliction ne défigurerait ce lieu, au contraire de tous les autres. Le vieillard était debout derrière eux, formant le personnage principal du groupe, le bas du visage couvert de son manteau noir et les yeux cachés par son sombrero. Mais il n’exprima aucun dissentiment. Les deux amoureux interprétèrent son sourire énigmatique comme le signe qu’il n’y avait là aucun vestige de crime ni de douleur pour profaner l’emplacement de leur temple du bonheur. Peu de temps après, alors que l’été était encore dans sa fleur, la structure féerique du temple s’éleva sur l’éminence à l’ombre solennelle du bosquet. [...] Mais l’idée s’établit parmi les gens du voisinage que l’édifice reproduisait l’architecture d’un mausolée antique et devait servir de tombeau ; sur la dalle centrale aux veines sombres devaient être inscrits les noms des défunts. [...] Non sans raison, car, le lendemain matin, on trouva la gracieuse forme terrestre, sous laquelle Lys s’était manifestée au monde, sans vie dans le temple, la tête reposant sur ses bras, qui étaient pliés sur la dalle de marbre aux veines sombres. [...] Hélas ! pauvre temple du bonheur ! Dans sa douleur indicible, Adam Forrester n’eut plus d’autre dessein au cœur que de convertir ce temple, où s’étaient attachées tant de belles espérances, en un tombeau et d’y ensevelir sa bien-aimée. O prodige ! quand on creusa la fosse sous le dallage de marbre du temple, le fossoyeur ne trouva pas la terre vierge, qui aurait été si bien faite pour recevoir les restes de la jeune fille, mais un ancien sépulcre où s’entassaient les ossements de générations mortes depuis longtemps. C’est parmi ces ancêtres oubliés qu’on allait déposer le corps de Lys. Quand le cortège funèbre arriva, on vit le vieux Walter Gascoigne, debout sous le dôme du temple. [...] « Ainsi », dit-il à Adam Forrester, avec l’étrange sourire en lequel s’exprimait sa folie, « vous n’avez pas trouvé de meilleures fondations pour votre bonheur qu’un tombeau. » Mais, tandis que parlait le fantôme de l’Affliction, une vision d’espérance et de joie naquit en l’âme d’Adam des paroles mêmes du cynique vieillard ; car il comprit ce que signifiait la parabole dont Lys et lui avaient été les acteurs, et pénétra le mystère de la vie et de la mort. « Joie ! joie ! » s’écria-t-il, levant les bras au ciel. « Que notre temple se dresse sur une tombe ! Désormais, notre bonheur est pour l’éternité. » À ces mots, un rayon de soleil perça le ciel lugubre et s’infiltra jusqu’au fond de la sépulture. Au même moment, la forme du vieux Walter Gascoigne s’éloigna lentement, accablée ; son rictus sombre, symbole de la douleur terrestre, n’avait plus rien à faire là, maintenant que la plus obscure des énigmes de l’humanité était résolue.
Nathaniel Hawthorne, La quête du lys (apologue)The Lily’s Quest (An Apologue). Etats-Unis XIX°
Note : on l’aura compris, cet apologue met en scène la Nouvelle Eve et le Nouvel Adam qui, en dignes disciples du Christ, quittent les inéluctables douleurs de la vie humaine sans laisser d’enfant derrière eux.

~ C’était le fatal stigmate de l’humanité, celui que la Nature, sous une forme ou sous une autre, imprime d’une manière ineffaçable sur toutes ses œuvres, pour donner à entendre soit qu’elles sont transitoires et bornées, soit qu’elles ne peuvent atteindre à la perfection que par l’effort et par la douleur. La Main Cramoisie exprimait l’inéluctable étreinte que leur nature mortelle fait sentir aux créatures terrestres les plus évoluées et les plus pures, les ravalant au rang des plus basses, et jusqu’à celui des bêtes elles-mêmes, dont leurs corps visibles partageront le sort en redevenant poussière. De sorte que, voyant là le symbole de l’assujettissement de sa femme au péché, au chagrin, à la décrépitude, et à la mort, la sombre imagination d’Aylmer ne tarda pas à faire de la tache de naissance un objet terrifiant, propre à lui causer plus d’affliction et d’horreur que la beauté même, morale ou physique, de Georgiana ne lui avait jamais apporté de délice. [...] « J’ignore le prix qu’il nous faudra l’un et l’autre payer pour que je sois débarrassée de cette fatale tache de naissance. Peut-être son ablation va-t-elle entraîner quelque difformité incurable. Ou il se peut que ses racines atteignent les sources mêmes de la vie. Pis encore, savons-nous s’il existe une possibilité, si ruineuse soit-elle, de faire lâcher prise à cette petite Main, qui s’imprima sur moi dès avant ma naissance ? » [...] « S’il en existe la moindre possibilité, poursuivit Georgiana, que la tentative se fasse, quel que soit le risque encouru. Le danger, pour moi, n’est rien ; car la vie – tant que cette odieuse tache fera de moi, à vos yeux, un objet d’horreur et de dégoût –, la vie me sera un fardeau que je rejetterai de gaîté de cœur. Effacez donc cette terrible Main, ou prenez ma déplorable vie ! »
~ L’Elixir Vitae. Il donnait à entendre assez clairement qu’il n’était pas hors de sa portée de mixtionner une liqueur qui prolongerait pour des années – et peut-être interminablement – la vie ; mais que cela produirait dans la nature une telle discordance, que le monde entier – à commencer par l’homme qui aurait bu la drogue d’immortalité – n’y trouverait qu’une raison de blasphémer Dieu.
Nathaniel Hawthorne, La tache de naissance. Etats-Unis XIX°

~ Que la trompette répande un vagissement funèbre, et que la voix du héraut donne vie en un seul vaste cri à tous les gémissements et douloureuses expressions qui se font entendre partout sur terre. Nous faisons maintenant appel au lien sacré du chagrin, et sommons l’énorme multitude qui peine sous de semblables afflictions à prendre place dans la marche. Combien de cœurs qui auraient été insensibles à tout autre appel ont répondu aux plaintifs accents de cette voix ! Elle a porté par monts et par vaux, en haut et en bas, et il est à peine un toit mortel qu’elle n’ait point visité. En effet, la règle n’est que trop universelle pour notre objectif et, si nous ne la limitons pas, elle brisera entièrement notre classification de l’humanité, et transformera l’ensemble de la procession en cortège funèbre. Nous allons donc nous donner un peu de mal pour établir une distinction. Voici venir un homme riche et solitaire : il a construit une noble structure pour en faire sa résidence, avec une façade à l’architecture majestueuse et des planchers de marbre et des portes en bois précieux ; toute la construction est aussi belle qu’un rêve et aussi substantielle que la roche native. Mais les silhouettes illusoires d’une longue postérité, à laquelle ce manoir était destiné pour lui servir de foyer, se sont estompées dans le néant depuis la mort du fils unique du fondateur. Le riche jette un coup d’œil sur son habit de zibeline dans l’un des splendides miroirs de son salon, et, descendant une volée de marches hautes, il offre instinctivement son bras à la veuve frappée par la pauvreté et couverte d’un bonnet noir rouillé, avec un tablier à carreaux sur sa robe rapiécée. Son garçon, un matelot qui était son seul réconfort terrestre, a été emporté par-dessus bord dans une récente tempête. Ce couple issu du palace et de l’hospice n’est qu’un exemple parmi des milliers d’autres qui incarnent la sombre tragédie de la vie.
~ Nous devons assigner des places à ceux qui ont rencontré le pire des tristes succès, une fortune plus haute que ce que leurs aptitudes pouvaient revendiquer ; des écrivains, des acteurs, des peintres, animaux de compagnie d’un jour, mais dont les lauriers non renouvelés se flétrissent parmi leurs cheveux grisonnants ; des politiciens, que quelque malicieuse contingence des affaires a poussé sur le devant de la scène, où, tandis que le monde les regarde, la lugubre conscience de leur imbécillité leur fait maudire l’heure de leur naissance. A de tels hommes, nous donnons pour compagnon celui dont les talents exceptionnels, qui nécessitent peut-être une Révolution pour pouvoir s’exercer, sont enfouis dans la tombe d’apathiques circonstances.
~ Nous avions oublié le Maréchal en Chef. […] C’est la Mort ! Qui d’autre pourrait assumer la conduite d’une procession qui comprend toute l’humanité ? […] Alors, souffle donc ta plainte par-dessus le vent plaintif de la terre, toi, l’orchestre de musique mélancolique, composée de tous les soupirs que le cœur humain, insatisfait, a poussés ! 
Nathaniel Hawthorne, The Procession of Life. Etats-Unis XIX°

Je trouve que la naissance d’un enfant suscite une forme de bonheur très sobre et grave. Il ne devrait pas venir trop tôt dans la vie d’un homme – pas avant qu’il ait pleinement profité de sa jeunesse – car il me semble que l’esprit ne peut plus jamais être parfaitement gai et insouciant. [...] Quant à moi, qui suis resté à baguenauder grotesquement longtemps, je découvre qu’il est nécessaire de sortir de ma contrée de nuages, et accepter d’être cousu dans la sombre texture de l’humanité. Il n’est plus question d’y échapper désormais.
Nathaniel Hawthorne, Lettre à George Stillman Hillard (1844). Etats-Unis XIX°


~ Je suis convaincu qu’il est irrationnel d’avoir des enfants. […] Je crois qu’il serait irrationnel de choisir d’entreprendre une action qui peut réalistement mener au pire résultat possible. Et je crois qu’avoir un enfant peut toujours réalistement mener au pire résultat possible, quand l’alternative est de ne pas avoir d’enfant. Je suis aussi personnellement convaincu qu’il est immoral d’avoir des enfants. Les enfants peuvent souffrir, et je pense qu’il est mal de provoquer de la souffrance évitable. En ayant délibérément des enfants, les parents permettent de la souffrance qui aurait pu être évitée par l’abstinence reproductive. C’est pourquoi je crois que la procréation humaine est fondamentalement immorale.
~ Je crois qu’il est moralement mauvais de causer des souffrances évitables à d’autres personnes. Cette croyance donne lieu à deux objections différentes contre la reproduction humaine. D’une part, puisque tous les êtres humains souffrent à un certain point dans leur vie, chaque parent qui pourrait avoir refusé de procréer est à blâmer. D’autre part, puisque les parents potentiels ne peuvent garantir que la vie de leurs enfants sera meilleure que la non-existence, ils peuvent aussi être légitimement accusés de faire un pari sur la vie d’autres personnes, quel que soit le résultat. A cause des incertitudes de la vie humaine, n’importe quel enfant peut finir par arguer que cela aurait été mieux pour lui de ne pas être né du tout.
Matti Häyry, A rational cure for prereproductive stress syndrome (article publié in : Journal of Medical Ethics, 2004, 30, pp. 377–378). Finlande XXI°


Là jadis on voyait une simple chaumière,
Qu’habitaient un enfant, un chat, une fermière ;
Le mari, vieux soldat sans peur et sans remord,
Aux champs d’Heltelingen avait trouvé la mort.
Lorsque sa pauvre femme en reçut la nouvelle,
Elle voulut d’abord se briser la cervelle ;
Pourtant elle reprit son enfant dans ses bras,
En lui disant : – C’est toi qui me consoleras... – 
Cela n’eût pas manqué ; mais, comme au coin de l’âtre,
Filait un beau lundi cette mère idolâtre,
Elle appelle son fils, le croyant dans la cour,
Puis sort et l’aperçoit sur le sentier, qui court...
Or, par ce sentier même un homme en pleine ivresse
Revenait de Kandern... la mère en vain s’empresse
Pour sauver son enfant de ce rustre grisé...
Avant qu’elle y parvînt il était écrasé...
Pour lui dans la forêt, voilà donc qu’elle creuse
Une fosse et s’assied dessus, la malheureuse !
En disant : – A bientôt, mon amour... – en effet,
Deux ou trois jours après, d’elle c’en était fait.
Johann Peter Hebel, Le revenant. Allemagne XIX°. Traduction par Max Buchon (1853)

Quand par le ciel en feu l’orage s’amoncèle,
Le tonnerre au loin craque et la flamme ruisselle,
Sans que rien désormais trouble mal à propos,
Ton repos...
Tu les as maintenant bien loin de toi chassées,
Pour n’y plus revenir, ces sinistres pensées,
Qui rendaient par moment ton limpide regard
Si hagard.
Oui, tu dois être heureux, car sous la froide terre,
Chaque tourment est bien obligé de se taire...
Tous nos maux, Dieu merci, finissent au trépas.
Johann Peter Hebel, Sur un tombeau. Allemagne XIX°. Traduction par Max Buchon (1853)

Enfin, ils moururent pourtant l’un après l’autre, et après ce qui s’était produit, ce n’était pas le pire.
Johann Peter Hebel, Heur et malheur (in Histoires d’Almanach. Traduction par René Radrizzani)

Le père dit : Mon bon garçon, bien sûr que ça se peut ! Tout commence jeune et neuf, et tout se traîne vers sa vieillesse, et tout prend fin. [...] Ne pense pas aux morts, ils ne te feront rien ! Où en étais-je ? Oui, Bâle va un jour tomber en ruines. [...] C’est ainsi, tu as beau me regarder. A la fin, le monde entier brûlera. A minuit, il passera un veilleur, un étranger, on ne sait pas qui c’est ; brillant comme une étoile, il criera : « Debout ! Réveillez-vous, le Jour est là ! » Alors, le ciel rougira, tonnera partout. [...] Finalement, l’univers partira en flammes ; personne n’éteindra ; cela va brûler tout seul ; et ce sera comment, après ?
Le fils dit : Oh père, ne dis plus rien ! Enfin, les gens que deviendront-ils lorsque tout brûlera ?
Le père dit : Eh bien, il n’y en a plus ; ils sont alors – où sont-ils donc ? – Sois sage et tiens-toi bien ; reste où tu es, et garde bonne conscience ! [...] Suivant la voie lactée jusqu’à la ville et plongeant le regard, que verras-tu ? Le château de Röttler ! Carbonisés, les monts Belch et Blauen, deux vieilles tours entre lesquelles tout sera calciné jusqu’au fond de la terre. Dans les prés plus aucune eau ; tout est désert et noir, silencieux comme la mort, à perte de vue. Voyant ça, tu diras à ton camarade : « Regarde, c’était la terre ; cette montagne s’appelait Belch ! Et pas très loin de là, c’était Wislet ; c’est là que j’ai vécu, parié sur des taureaux, charrié du bois à Bâle, labouré, fait des chandelles, tous les travaux des champs jusqu’à ma mort ; et je n’aimerais plus y être. »
Johann Peter Hebel, Précarité (in Histoires d’Almanach. Traduction par René Radrizzani)

Et si Jésus, le Sauveur oriental, ne se manifestait pas à la fin des temps ? Hebel joue audacieusement avec l’idée d’une absence de compensation pour toutes les souffrances accumulées à travers les âges. Face à un tel horizon, l’Histoire de l’espèce devient ruineuse et la procréation irresponsable : « Docteur, demanda-t-il, supposez-vous que le genre humain se propagera éternellement sur la terre ? ». « Non pas, dit le docteur, mais qu’en serait-il si jamais survenait sa fin, avant que n’arrive votre Oriental ! [Qu’en serait-il] si vous tenez pour possible que [l’humanité] ait pu une quelconque fois exister de la sorte pour rien, absolument rien, telle qu’elle est, avec ses folies et ses souffrances perpétuelles, l’éternelle, la récurrente monotonie d’une mauvaise pièce de théâtre, qui serait susceptible de s’arrêter sans avoir montré aucune amélioration, tout comme elle a commencé : languissante ? »
[Johann Peter Hebel, La promenade au lacDer Spaziergang am See]. Allemagne XIX°. Extrait de : Karim Akerma, Antinatalismus – Ein Handbuch.


~ Vois, tes fils et tes époux pourrissent pêle-mêle entre tes cuisses, sous une seule malédiction.
~ Mère aveugle, explique-nous la naissance et la mort et tout le voyage hardi entre deux barbares ténèbres, pôles du monde, axes du jour.
Anne Hébert, Eve (in Œuvre poétique). Québec XX°


~ Je n’étais pas fait pour la vie.
~ Je me moquais de moi-même et de cette existence ; je savais que dans ce grand théâtre de la vie, chacun joue d’une façon ou d’une autre jusqu’à ce que la mort arrive.
~ Le monde, les gens, tout me paraît un jeu, une bagatelle, quelque chose d’absurde et dépourvu de sens. Je voulais dormir et ne plus me réveiller, ne plus rêver.
~ Dans cette prison de l’existence, je suis attaché par des chaînes d’acier.
~ Plus je pense, plus je comprends qu’il est inutile de continuer cette vie.
~ Je suis né par erreur, comme une chose inutile qu’il faudrait rejeter.
Sadeq Hedayat, Enterré vivant. Iran XX°
Note : l’auteur se suicidera

Nous sommes tous les enfants de la mort. C’est elle qui nous délivre des fourberies de l’existence.
Sadeq Hedayat, La chouette aveugle. Iran XX°


La mort, le maître absolu.
G. W. Friedrich Hegel, La phénoménologie de l’esprit. Allemagne XIX°

~ L’esprit universel [...] sort de son repos pour entrer dans un monde où tout est opposition, scission et confusion, et alors, au milieu de ce désaccord et de cette lutte, il ne peut échapper lui-même au malheur et à la souffrance, qui sont le partage des choses finies.
~ Le Dieu des chrétiens lui-même n’échappe pas à l’humiliation de la douleur et à l’ignominie de la mort. Il n’est pas délivré de ces angoisses de l’âme au milieu desquelles il doit s’écrier « Mon Dieu, mon Dieu ! Pourquoi m’as-tu abandonné ? » Sa mère souffre d’ineffables douleurs.
~ La vie humaine, en général, est une vie de lutte, de combats et de souffrance.
G. W. Friedrich Hegel, Esthétique ou philosophie de l’art. Allemagne XIX°. Traduction par Charles Bénard (1875) 

~ Les passions, les fins des intérêts particuliers, la satisfaction de l’avidité personnelle sont d’une violence extrême. Leur puissance vient de ce qu’ils ne respectent aucune des bornes que le droit et la moralité veulent leur imposer ; et la violence naturelle de la passion est plus aisément saisie par l’homme que la discipline artificielle et ennuyeuse qui conduit à l’ordre et à la mesure, au droit et à la moralité. Lorsque nous contemplons ce spectacle donné par les passions, lorsque nous voyons à quoi mène leur violence, et quelle incompréhension s’associe non pas seulement à ces passions, mais aussi, et même surtout, à ce qui est pétri de bonnes intentions, de buts justes ; lorsque devant nos yeux, dans l’histoire, nous trouvons le mal, la méchanceté, la destruction des formations de peuples et d’Etats les plus nobles qui soient, l’effondrement des règnes les plus florissants qu’ait produits l’esprit humain, nous ne pouvons – lorsque nous considérons les individus, avec une sympathie profonde pour leur détresse sans nom – que finir par nous affliger, surtout de cette caducité ; et plus encore, nous affliger moralement d’un tel spectacle, avec l’indignation d’un bon esprit, si nous en avons un, parce que cet effondrement-là n’est pas seulement l’œuvre de la nature, mais de la volonté de l’homme. On peut, sans exagération rhétorique et en faisant simplement la liste exacte des malheurs dont ont souffert les formations étatiques et populaires les plus splendides, ainsi d’ailleurs que les vertus privées, ou du moins l’innocence, dresser le tableau le plus effroyable de telles réussites. De cette manière, on intensifie aussi à l’extrême le sentiment d’affliction – d’une affliction si profonde et tellement désemparée qu’aucun résultat conciliant ne peut lui faire contrepoids. Pour nous en défendre, ou pour en sortir, nous en venons parfois à penser que voilà, c’est ainsi que ça s’est passé, que c’est un destin, qu’on n’y peut rien changer, – et alors, de l’ennui que peut susciter en nous cette réflexion affligée, nous revenons au sentiment de notre vie, à nos buts et à nos intérêts dans le présent, un présent qui n’est pas fait d’affliction sur le passé, mais d’efficacité ; ou encore, nous nous retirons dans l’égoïsme de celui qui se tient sur la berge plus tranquille et qui, placé là en sécurité, jouit de la vue lointaine d’une masse confuse de ruines. Mais même quand nous considérons l’Histoire comme cet abattoir auquel sont conduits, pour y être sacrifiés, le bonheur des peuples, la sagesse des Etats et la vertu des individus, la question naît dans la pensée, nécessairement : à qui, à quelle fin ultime ces sacrifices des plus monstrueux sont-ils apportés ?
~ L’histoire n’est pas le terrain du bonheur ; car les périodes de bonheur sont pour l’histoire des pages vides.
G. W. Friedrich Hegel, Leçons sur la philosophie de l’histoire. Allemagne XIX°

La vie, qui sort de la mort, est elle-même à son tour une vie singulière. Et si nous considérons l’espèce comme ce qu’il y a de substantiel dans ce changement, alors la disparition de l’individu n’est que la rechute de l’espèce dans la singularité. La conservation de l’espèce n’est donc rien d’autre que la répétition uniforme du même mode d’exis­tence.
G. W. Friedrich Hegel, Leçons sur la philosophie de l’histoire. Allemagne XIX°

La naissance des enfants est la mort des parents.
[G. W. Friedrich Hegel]. Allemagne XIX°. Cité in : Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe.


La mort, pour dire la vérité, nous détache des maux et non des biens. C’est ce qu’Hégésias de Cyrène développait de manière si brillante que le roi Ptolémée dut lui interdire de traiter de ce sujet durant ses cours, car nombre de ses disciples décidaient de se suicider après l’avoir entendu. […] L’ouvrage d’Hégésias dont je te parle s’intitule l’Apokarteron, parce que son héros se laisse mourir de faim et répond à des amis, qui tentent de le retenir, en leur énumérant les difficultés de l’existence. Je pourrais le faire moi aussi, moins radicalement que lui toutefois, qui pense que vivre n’a d’intérêt pour strictement personne.
[Hégésias]. Grèce III° AC. Extrait de : Cicéron, Tusculanes.

Quelle force d’éloquence ne devons-nous pas supposer à Hégésias, philosophe de l’école cyrénaïque ? Il représentait les maux de la vie si vivement, il en faisait une peinture si déplorable que l’impression produite dans les âmes des auditeurs faisait naître chez beaucoup d’entre eux le désir de se donner la mort. Aussi le roi Ptolémée lui fit défense de continuer à discourir sur ce sujet.
[Hégésias]. Grèce III° AC. Extrait de : Valère Maxime, Actions et paroles mémorables.

Il est très difficile de réunir tous les plaisirs qui feront une vie heureuse. Chez un successeur d’Aristippe, Hégésias, ces affirmations tournent au pessimisme radical : rien, dans la vie, ne répond au désir profond de l’homme. L’existence n’apporte que douleur et souci, le bonheur est impossible. Le sage fuira donc la souffrance, en se réfugiant, s’il le faut, dans la mort ; de là vient le surnom de Péisithanatos1 qu’on donna à Hégésias.
[Hégésias]. Grèce III° AC. Extrait de : Encyclopaedia Universalis (Thesaurus), 1985 : article « Cyrénaïque (Ecole) ».
1. c’est-à-dire : « Celui qui persuade de mourir »

~ La reconnaissance, l’amitié, la bienfaisance n’étaient rien à leurs yeux puisque nous ne les choisissons pas pour elles-mêmes, mais à cause des avantages qu’elles procurent.
~ Le bonheur est chose absolument impossible, car le corps est accablé de nombreuses souffrances, l’âme qui participe à ces souffrances du corps en est aussi troublée, enfin la Fortune empêche la réalisation de bon nombre de nos espoirs, si bien que pour ces raisons le bonheur n’a pas d’existence réelle.
~ La supériorité du sage ne sera pas tant de choisir les biens que de fuir les maux, parce qu’il pose pour fin de ne vivre ni dans la peine ni dans le chagrin.
[Hégésiaques, disciples d’Hégésias]. Grèce III° AC. Extraits de : Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres.


~ Hélas, en cette humaine condition, puissé-je n’avoir jamais eu femme ni enfants ! Ce me fut non seulement en cette vie une cause de soucis, mais ce me sera devenu un obstacle pour mon salut futur !
~ Le Roi des Illusions du sixième ciel qui régit les six cieux du monde des désirs, craignant de voir les êtres vivants de ce monde-là échapper au cycle des naissances et des morts, tantôt se fait épouse et tantôt époux afin de s’y opposer.
~ Pour ce que femme et enfants sont les entraves qui pendant des éternités nous retiennent dans l’alternance sans fin des vies et des morts, les bouddhas solennellement nous ont mis en garde.
Heike monogatari. Japon  XIV°


Le sommeil est bon, la mort est meilleure, cependant il vaudrait mieux encore n’être jamais né.
Heinrich Heine, Morphine. Allemagne XIX°


~ La Mort montre que tout est néant.
~ La Mort met fin à toutes les batailles.
Hélinant de Froidmont, Les vers de la mort. France XII°


Qui donc, en méditant l’Ecriture ou les problèmes de la philosophie, supporterait les vagissements d’un nouveau-né, les chansons de la nourrice qui le berce, […] la malpropreté habituelle de l’enfance ?
Héloïse. France XII°. Citée in : Abélard, Histoire de mes malheurs.


Héraclite semble prendre la naissance pour un malheur. Ne dit-il pas : « Une fois nés, ils veulent vivre et subir la mort, ou plutôt connaître le repos de la mort, et ils laissent des enfants qui subiront la mort. »
[Héraclite]. Grèce V° AC. Extrait de : Clément d’Alexandrie, Stromates.


Seigneur, notre Dieu, quand Ton Royaume arrivera-t-il ? / Nous attendons depuis si longtemps ! / Nous prions : « Que vienne à nous Ton Royaume ! » / Et nous le craignons avec impatience. / Le scélérat se répand en sarcasmes, l’esprit railleur se perd en rires, / L’homme pieux soupire en vain nuits et matins : / « Où restes-tu, Prince de la Vie ? » / Tu disais : « Je viens, je viens bientôt / Avec de grandes récompenses et de grandes punitions. » / Où est, où est donc Ton Séjour ? / Les Pères se sont endormis. / Ils espéraient, ils soupiraient aussi, tout comme nous, / Et se sont couchés sous terre ; / Nous espérons, nous soupirons aussi après Toi, / Et de nouveau Tu n’apparais pas ! / Es-Tu en la main de Ton Père, / Où Tu emportas Ton Royaume, / Ne vois-Tu plus Ton domaine terrestre, / Ne peux-Tu plus y revenir ? / Ton enseignement fut-il un rêve, / Notre désir se serait-il égaré, / Notre mort sera-t-elle semblable à celle d’un arbre ? / O mieux vaudrait ne jamais être nés !
Johann Gottfried Herder (1744-1803), La question du désir languissantDie Frage der Sehnsucht. Allemagne XVIII°
Note : le philosophe Karim Akerma, dans son livre Antinatalismus – Ein Handbuch, commente ainsi ce poème de Herder : « Suite au fait que la rédemption de l’humanité, fermement promise par le Nouveau Testament, fut néanmoins perpétuellement postposée, le fil de la patience – pour le dire de façon frappante – se déchire progressivement à l’époque moderne dans la pensée de Herder, théologien et philosophe des Lumières. S’il n’y a pas de Salut, alors il aurait mieux valu ne jamais commencer à exister du tout. »


~ Tout être créé est passible, la naissance même étant une passion. Or, où il y a passion, le bien n’existe pas ; et là où est le bien il n’y a pas de passion. […] Le bien ne peut donc exister dans la création, mais seulement dans l’incréé.
~ Parmi les hommes, le bien n’existe que de nom, nullement de fait. Le bien est incompatible avec un corps matériel, enveloppé de tous côtés par les maux, par les douleurs, par les désirs, par les colères, par les erreurs, par les opinions fausses.
~ Le bien lui-même ne peut exister dans le monde ; car le monde est la plénitude du mal.
Hermès Trismégiste, Poimandrès. Grèce III°

Dieu songea à les punir et à leur préparer de dures chaînes. Le chef et le maître de l’univers résolut donc de fabriquer l’organisme humain pour la punition des âmes. […] Il ordonna que les âmes fussent incorporées. Et elles furent saisies d’horreur en apprenant leur condamnation.
Hermès Trismégiste, La Vierge du Monde (Korê Kosmou). Grèce III°

~ La naissance de l’homme est une destruction.
~ Qu’est-ce que l’homme ? Le mal immuable.
Hermès Trismégiste, Fragments. Grèce III°


Lorsque Solon eut entretenu le roi de Tellus et lui eut dit ses nombreux sujets de félicité, Crésus lui demanda qui était, après celui-là, l’homme le plus heureux qu’il eût vu, ne doutant nullement d’obtenir au moins la seconde place. Mais Solon répondit : « Ce sont Cléobis et Biton, de naissance argienne. Ils avaient des richesses dont on peut se contenter et en outre, une force de corps telle qu’ils ont été l’un et l’autre vainqueurs aux jeux. Et voici ce que l’on rapporte d’eux : les Argiens célébraient la fête d’Héra, et il fallait absolument transporter leur mère au temple en chariot. Or, les bœufs n’arrivèrent pas des champs à l’heure, mais les jeunes gens, voyant le temps s’écouler, se placèrent sous le joug et traînèrent le char qui portait leur mère. Ils firent ainsi quarante-cinq stades et arrivèrent au temple. Après cette action accomplie sous les yeux de l’assemblée entière, ils eurent la fin la plus heureuse. La déesse montra en eux que pour l’homme mieux vaut mourir que vivre. Car, les Argiens, se pressant autour d’eux, félicitaient les jeunes gens de leur force, et les Argiennes félicitaient la mère d’avoir de tels fils. Alors celle-ci, pleine de joie tant à cause de l’action elle-même qu’à cause de ces discours, se plaça devant la statue, priant la déesse d’accorder à Cléobis et à Biton, à ses fils, à ceux qui l’avaient tant honorée, ce qu’il peut arriver de plus heureux à l’homme. Après cette prière, lorsqu’ils eurent sacrifié et pris part au festin, les jeunes gens, s’étant endormis dans le temple même, ne se réveillèrent pas, et la mort les saisit de cette manière. »
Hérodote, Histoires (I, 31). Grèce V° AC

Les Trauses ont en général les coutumes du reste de la Thrace, mais voici comment ils se comportent devant la naissance et la mort : la famille du nouveau-né se rassemble autour de lui et se lamente sur les maux qu’il devra subir puisqu’il est né, en rappelant toutes les calamités qui frappent les malheureux mortels ; mais le mort est mis en terre au milieu des plaisanteries et de l’allégresse générale, puisque, disent-ils, il jouit désormais de la félicité la plus complète, à l’abri de tant de maux.
Hérodote, Histoires (V, 4). Grèce V° AC

« La pitié [dit Xerxès] m’a saisi lorsque j’ai pensé au temps si court de la vie des hommes, puisque, de cette multitude sous nos yeux, pas un homme ne sera encore en vie dans cent ans. » Artabane lui répondit : « Il est d’autres peines dans l’existence, et plus cruelles encore. Si brève que soit la vie, il n’est pas un homme, ici comme ailleurs, qui naisse assez heureux pour ne pas souhaiter, plus d’une fois, être mort plutôt qu’en vie. Les malheurs qui nous frappent, les maladies qui nous torturent font paraître trop longue cette vie si courte. Alors, quand l’existence est un trop lourd fardeau, la mort devient pour l’homme le plus désirable des refuges. »
Hérodote, Histoires (VII, 46). Grèce V° AC


~ Il y aurait par exemple un milliard d’êtres humains qui ne mangeraient pas à leur faim. Lesquels on voit à la télévision décharnés et couverts d’enfants squelettiques. Lesquels, pense-t-on immédiatement, n’ont pas demandé à naître. Lesquels, comme l’a écrit Cioran, souffrent de l’inconvénient d’être né(s). L’humanité, dans sa fringale d’orgasmes, procrée inconsidérément des hommes et des femmes qui n’atteindront jamais, il faut bien l’admettre, la qualité humaine, ni même bestiale. Certains en restent à l’état de larves souffrantes. Leur vie n’est qu’une agonie. […] Personne ne peut ignorer que 18000 enfants meurent CHAQUE JOUR de faim ; sans parler de ceux qui meurent de soif, de maladie, de maltraitance, de guerres accompagnées ou non de génocides ou autres petites tueries… Avoir commis tous les crimes, hormis celui d’être père (Cioran).
~ Avoir un enfant est un but dans l’existence. Surtout si l’on n’en a pas d’autres.
~ La faim sévit, la Terre s’épuise… déjà vu. Il faut donc, comme le proposaient Paul et Ann Ehrlich il y a quarante ans, réduire la croissance de la population. D’abord dans les pays riches qui consomment et gaspillent le plus. Ensuite dans les pays pauvres qui ne peuvent plus nourrir leurs habitants. Ce n’est pas une tâche impossible. […] Comment ? En supprimant les encouragements financiers à la procréation. Plus d’aide au-delà du deuxième enfant et des pénalités au-delà, si nécessaire. […] Généraliser l’information sur les méthodes contraceptives et l’avortement dès l’école et les rendre les plus accessibles possible. Critiquer les morales natalistes des religions. A quand un pape moderne en faveur de la pilule, du préservatif et de l’avortement ?
~ Le dernier mot à Cioran : Ces enfants dont je n’ai pas voulu, s’ils savaient le bonheur qu’ils me doivent !
Alain Hervé, De l’inconvénient d’être humain. France XXI°. Texte publié in M. Sourrouille (dir.), Moins nombreux, plus heureux : l’urgence écologique de repenser la démographie.


~ Mille fléaux divers parcourent la demeure des mortels ; la terre est remplie de maux, la mer en est pleine ; les maladies viennent d’elles-mêmes nous visiter, le jour, la nuit, et nous apportent la douleur en silence.
~ Pourquoi faut-il que je me trouve dans le cinquième âge ? Que ne suis-je mort auparavant, ou que ne puis-je naître après ! C’est maintenant la race de l’Age de Fer. Les hommes ne cesseront plus désormais, le jour, de travailler et de s’affliger, la nuit, de se consumer et de mourir.
Hésiode, Les travaux et les jours. Grèce VIII° - VII° AC


~ Ce monde doit être détruit et nous avec. La solution la moins douloureuse serait de le couler en le maintenant dix minutes sous l’eau. Allez, au travail !
~ Vous savez bien que notre terre souffre d’un terrible phénomène de surpopulation.
~ Par le fait qu’une mère m’a mis au monde, je suis fautif, je suis condamné à vivre […] Je n’ai rien contre la destruction de ce monde stupide et encombré : je suis même heureux d’y participer et de sombrer avec lui.
Hermann Hesse, Le loup des steppes. Suisse XX°


Comme un réseau de veines vont les rues à travers la ville,
D’innombrables personnes y déferlent vers le dehors ou le dedans.
Et éternellement la terne tonalité de la terne existence
S’en épanche monotone dans le silence mat. 
L’accouchement, la mort, fabrication du pareil au même,
Bégaiement des douleurs de la gésine, plus long cri d’agonie,
Dans l’aveugle alternance cela s’efface sourdement.
Georg Heym, La ville – Die Stadt. Allemagne XX°

En tant que poète de la néganthropie des grandes villes, Heym décrit comme une malédiction le fait d’y être né, ce qui aujourd’hui se constate particulièrement dans beaucoup de métropoles à la périphérie du monde occidental : « Et les rêves noirs flottaient au-dessus de la foule, qui se tenait debout en grumeaux serrés les uns contre les autres et stationnait comme une armée, condamnée à la mort éternelle, frappée de mutisme éternel, maudite, plongée de nouveau dans le ventre de Paris, pour souffrir, connaître la faim, naître et mourir dans une mer de noires ténèbres, de corvées, de famine et d’esclavage. »
[Georg Heym, Le voleur – Der Dieb]. Allemagne XX°. Extraits de : Karim Akerma, Antinatalismus – Ein Handbuch.

Vraiment, s’il y avait un Dieu, on devrait le traîner par sa robe de chambre jusqu’à l’échafaud pour son infinie cruauté.
Georg Heym, Journaux intimesTagebücher. Allemagne XX°
Note : Le philosophe Karim Akerma, dans son livre Antinatalismus – Ein Handbuch, commente ainsi cet aphorisme de Heym afin de souligner la dimension démiurgique de la parentalité et l’évidente culpabilité qui en découle : « Moyennant quoi reste ouverte la question : mais s’il n’y a pas de Dieu – qui est dès lors responsable de la perpétuation de la cruauté ? Qui a agi de telle sorte qu’un autre condamné à l’enfer sur cette Terre ait commencé à exister ? »


C’est pourquoi ma copine et moi avons rompu. Elle voulait des gosses, et moi (rires) oh, bon. Elle voulait des gosses (rires). J’ignorais que sa philosophie était défectueuse à ce point-là. Elle y va, « Est-ce que ce ne serait pas agréable d’avoir un gosse, d’avoir cette ardoise fraîche et propre, que nous pourrions remplir, et un petit esprit propre, totalement, tu sais, innocent, et le remplir de bonnes idées. » Ouais, ouais, que dire de ça ? Si tu es un si putain d’altruiste, pourquoi ne laisses-tu pas le petit esprit propre là où il est en ce moment ? OK ? Acte horrible, l’accouchement. C’est un cauchemar. Faire venir – je ne ferais jamais venir un enfant sur cette putain de planète.
Bill Hicks, Love all the people : letters, lyrics, routines. Etats-Unis XX°


[Hiéracas] enseignait que le mariage était bien permis aux temps de l’Ancienne Alliance, mais que depuis Christ, il est interdit à tous ses disciples. L’enkrateia [la continence] est la seule chose vraiment nouvelle qu’Il ait apportée ; elle est, en d’autres termes, l’essentiel de sa prédication ; c’est seulement par la pureté et la continence qu’on parvient au Royaume céleste.
[Hiéracas de Léontopolis]. Egypte IV°. Extrait de : Johannes Roldanus, Le Christ et l’homme dans la théologie d’Athanase d’Alexandrie.

Guide spirituel dans une ville provinciale du delta du Nil, Hiérakas connaissait les Ecritures par cœur. Comme Origène, il avait une réputation d’exégète inspiré. […] Il était l’arbitre de l’opinion ascétique dans sa région. Son point de vue était clair. Il élargissait radicalement la présentation « historique » de la virginité que nous avons rencontrée chez Origène et Méthode. L’époque de l’Ancien Testament contenait tous les préceptes nécessaires à une vie décente et conventionnelle. L’Evangile ne leur avait rien ajouté. Le Christ n’avait apporté qu’une nouveauté sur terre et, avec cette nouveauté, l’espoir du salut : la chasteté. Seuls ceux qui ne s’étaient pas mariés avaient une place dans Son Royaume. […] Dans la pensée de Hiérakas, les personnes chastes seraient les seuls chrétiens d’Egypte à être sauvés : leur présence dans les villes et les villages du delta du Nil devait tourner en dérision les espoirs de salut de la moyenne des maîtres de maison mariés.
[Hiéracas de Léontopolis]. Egypte IV°. Extraits de : Peter Brown, Le renoncement à la chair : virginité, célibat et continence dans le christianisme primitif.


~ L’instinct maternel, je crois, me fait entièrement défaut. Je le justifie ainsi à mes propres yeux : je considère la vie comme un long chemin de croix et les hommes comme des êtres bien misérables, et me sens incapable de prendre la responsabilité d’accroître l’humanité d’une malheureuse créature de plus.
~ Sauver la vie d’un être en lui barrant à toute force le chemin de cette vie ! Je veux lui éviter d’entrer dans cette vallée de larmes. Je vais te refouler dans la sécurité des limbes, petit être en devenir, tu devrais m’en savoir gré. Je ressens presque de la tendresse pour toi. Je m’en prends à toi avec de l’eau bouillante et de sinistres instruments, je te combattrai avec patience et ténacité jusqu’à ce que tu te dissolves dans le néant, et j’aurai le sentiment d’avoir accompli une bonne action, de m’être montrée responsable. […] Je t’interdirai l’accès à cette vie et, crois-moi, tu n’auras pas à t’en plaindre.
Etty Hillesum, Une vie bouleversée. Pays-Bas XX°


Thème central des spéculations upanishadiques, tel qu’il est donné par le sage Yajnavalkya dans la Brihad Aranyaka, l’une des plus anciennes Upanishad (vers le VI° siècle avant l’ère chrétienne), l’enseignement de l’atman [le Soi, identique au brahman] est la révélation suprême qui conditionne l’évasion hors du cycle des re-naissances. [...] L’ignorance humaine qui méconnaît sa nature foncière commet une erreur funeste : celle de lier l’être au devenir et aux renaissances successives.
[Hindouisme]. Extraits de : Anne-Marie Esnoul, article « Atman », Encyclopaedia Universalis, 1985

~ Pour les renonçants, tout acte, et spécialement l’acte rituel, étant essentiellement périssable, ne peut porter que des fruits périssables, mais en même temps, comme il marque l’attachement à ce monde et à ses jouissances par l’attente d’un résultat, il est responsable du renouvellement indéfini des renaissances. Tout acte doit porter son fruit, sinon dans cette vie, du moins dans une vie future ; aussi, pour supprimer toute vie future, faut-il supprimer les actes.
~ Pour le renonçant hindou, c’est l’acte, et en particulier le rite, donc l’accomplissement de son devoir quotidien au sein de la société, qui entraîne ipso facto les renaissances, et l’immortalité à laquelle il aspire n’est plus le simple prolongement céleste de la vie d’ici-bas mais la délivrance définitive des conditions de la vie empirique individuelle, du samsara. D’une crainte de la re-mort on est passé à l’affirmation du fait des renaissances et à la négation radicale de leur valeur.
[Hindouisme]. Extraits de : Madeleine Biardeau, article « Karman », Encyclopaedia Universalis, 1985

~ Le mot nirvana sert aussi parfois à désigner le salut dans la littérature des autres religions de l’Inde, des diverses sectes du jainisme et de l’hindouisme. [...] Ce salut, généralement appelé « délivrance » (moksha), n’a guère de commun avec le nirvana du bouddhisme que sa nature de cessation complète et définitive des renaissances, et ainsi des souffrances qui accompagnent toute existence.
~ Les diverses écoles du brahmanisme et de l’hindouisme s’accordent pour définir le salut comme la délivrance du monde des transmigrations et de tout ce qu’il implique, souffrance, mal, souillure, ignorance, illusion, rétribution des actes. [...] Presque toutes ces écoles affirment que cet état de libération est pure et éternelle béatitude, bien que nombre d’entre elles précisent en même temps qu’il est une inconscience totale, analogue à celle du sommeil profond, par suite de l’arrêt définitif de toute activité mentale.
[Hindouisme]. Extraits de : André Bareau, article « Nirvana et samsara », Encyclopaedia Universalis, 1985

L’une des doctrines centrales de la religion de l’Inde ancienne est, on le sait, celle du karman : la nécessité qui s’impose à l’âme de toujours subir une renaissance nouvelle dans une condition humaine ou animale déterminée par la qualité de ses actes passés. Le salut consiste à s’évader de la fatalité du karman, à briser le cycle des renaissances, à l’immobiliser de même que la roue du potier s’arrête quand aucune impulsion ne la fait plus tourner. [...] Selon que la perspective est théiste ou athée, l’état du délivré dans la mort définitive est décrit de façons diverses, mais concourantes : passivité et union à Dieu, abolition de la conscience, dépersonnalisation et identification avec le brahman, « comme est l’écoulement du fleuve dans la mer ».
[Hindouisme]. Extraits de : Jean Pépin, article « Salut », Encyclopaedia Universalis, 1985

Dans l’hindouisme, le terme sanskrit moksha (« libération »), désigne la délivrance ultime par laquelle se trouve brisé tout lien avec le cycle des renaissances. En principe, le moksha n’est possible que par la mort, mais certains pensent qu’il peut s’obtenir au cours de la vie, quand on adopte l’état du « renonçant solitaire », devenant ainsi un « délivré vivant » (jivana-mukta).
[Hindouisme]. Extrait de : Encyclopaedia Universalis (Thesaurus), 1985 : article « Moksha ».

~ Au lieu d’avoir uniquement pour but la recherche rationnelle et scientifique, pour ainsi dire désintéressée, de la vérité, [les écoles philosophiques (Darçanas)] sont toujours intimement liées à la religion, en font partie intégrante. Si elles s’efforcent de déterminer la nature des dieux, de l’âme humaine, de l’esprit et de la matière, l’origine du bien et du mal, les rapports entre l’homme et la divinité, ce n’est pas pour satisfaire une noble curiosité de l’au delà, de l’absolu, de l’infini, mais pour découvrir le meilleur moyen, le plus certainement efficace, de délivrer l’humanité de l’existence, – le plus grand des maux, la source de tous les maux dans l’idée d’un Indien, – en lui procurant quelque procédé infaillible pour s’absorber dans l’essence divine de l’âme universelle.
~ La part très large, presque prédominante, faite par cette école [Nyâya] aux règles du raisonnement, lui a valu la réputation d’être exclusivement logique ; réputation injustifiée, car, si elle s’abstient de traiter ou ne traite qu’accidentellement de la nature des dieux et du monde matériel, elle étend ses recherches et ses spéculations à l’âme, au corps, aux sens, aux objets des sens, à l’entendement ou intelligence, à l’esprit, à l’activité humaine, aux fautes ou péchés, à la transmigration ou métempsycose, aux conséquences résultant des actes, à la souffrance et à la délivrance finale des maux de l’existence. Elle résume ses vues sur la question de l’existence, véritable obsession pour tous les Indiens, dans ce court Soutra – « misère, naissance, activité, fautes, notions erronées ; en détruisant successivement chacun de ces éléments, on détruit aussi celui qui le précède immédiatement ; alors vient la délivrance finale », – que l’un de ses commentateurs, Vatsyâyana, développe en ces termes : « D’une notion fausse naissent la partialité et le préjugé ; de là découlent les fautes de calomnie, envie, tromperie, enivrement, orgueil, avarice. Agissant revêtu d’un corps, un individu commet des injustices, des vols, des actes sensuels interdits, devient faux, insensible, meurtrier. Cette activité vicieuse produit le démérite. Mais accomplir dans un corps des actes de charité, de bienveillance et de dévouement, être véridique, utile aux autres, désintéressé et respectueux, cela produit le mérite. Donc le mérite et le démérite sont nourris par l’activité. Cette activité est la cause des naissances viles aussi bien que des honorables. La douleur accompagne la naissance. Ceci comprend les sentiments (ou plutôt sensations) de malheur, de souffrance, de maladie et de chagrin. L’émancipation est la délivrance de tous ces maux. Quel être intelligent ne désirera pas être délivré de tout mal ? Car on dit qu’il faut rejeter loin de soi les aliments empoisonnés. Il faut éviter le plaisir, inséparable de la peine ». Cette conception nyâyiste de la cause des misères de l’existence et des moyens d’y mettre fin pénètre toute la philosophie indienne, et nous la retrouverons comme base fondamentale des doctrines hétérodoxes des deux grands schismes, le Djainisme et le Bouddhisme.
[Hindouisme]. Extraits de : Léon-Joseph de Milloué, Le brahmanisme.

~ Disparue, la terreur inspirée par la mort et la nouvelle naissance ; on est « immortel » ; tout désir terrestre est extirpé : on est au-dessus même du souci d’une postérité. Telle est la délivrance (moksha).
~ L’« immortalité » n’est donc pas ici une persistance de l’esprit conscient, mais l’absorption de ce qui sur terre apparaît comme individu dans le brahman infini et impersonnel. L’expérience extatique de cette identité considérée comme une réalité véritable suffit à vous libérer de la nécessité de naître de nouveau. Pour l’Hindou, être convaincu de la possibilité d’une délivrance, c’était avant tout être libéré de l’inquiétude et de l’inconfort de l’existence et goûter une paix intérieure.
~ Les élites intellectuelles se soucient de découvrir, pour le montrer aux autres, un chemin qui les libère des vies et des morts sans cesse répétées.
~ Le karman fait des hommes des esclaves de cette existence terrestre, les empêche d’être simplement eux-mêmes, les contraint de rester dans le samsara [...], c’est-à-dire de se plonger dans le courant jamais en repos de l’histoire sans connaître de halte ni de trêve, toujours livrés comme un navire désemparé à ce courant perpétuel, toujours soumis à la souffrance, abandonnés à ce qui leur déplaît ou les tourmente. [...] Cette doctrine [de la transmigration] eut pour conséquence des efforts passionnés pour briser à jamais le cycle désespérant des existences, se libérer définitivement de tout karman vous liant à ce cycle.
[Hindouisme]. Extraits de : Jan Gonda, Les religions de l’Inde – Védisme et hindouisme ancien.

Karman, samsara, moksha. L’idée de salut – ou mieux, de libération (moksha) – est elle-même en liaison étroite avec deux notions caractéristiques qui ont obsédé l’Inde à partir de cette époque (environ le VI° siècle avant notre ère), karman et samsara, tributaires l’une de l’autre. Le karman est le poids des actes – bons ou mauvais – accomplis au cours des existences, poids qui entraîne l’âme individuelle à se réincarner indéfiniment. Cette ronde continuelle des existences constitue le samsara dont la perspective angoisse toute la pensée indienne. Moksha, la libération, ne consistera donc pas à accéder à un autre mode de vie plus heureux : on tentera d’échapper à ce perpétuel retour qui n’a pas lieu automatiquement sur la terre, mais dans l’un des trois mondes – céleste, terrestre ou infernal – suivant la qualité des œuvres antérieures [...] Ces trois notions, en dépendance intime les unes des autres : poids des actes, cycle des existences et libération, présentent donc une originalité par rapport à la période précédente et vont contribuer à caractériser l’hindouisme.
[Hindouisme]. Extraits de : Anne-Marie Esnoul, « Introduction générale » in ouvrage collectif L’hindouisme – textes et traditions sacrés, A.-M. Esnoul (dir.)

~ Les textes indiens répètent jusqu’à la satiété cette thèse, selon laquelle la cause de l’« esclavage » de l’âme et, par voie de conséquence, la source des souffrances sans fin qui transforment la condition humaine en un drame permanent, réside dans la solidarisation de l’homme avec le Cosmos, dans sa participation, active ou passive, directe ou indirecte, à la Création, à la Nature. Neti ! Neti ! s’écrie le sage des Upanishads : « Tu n’es pas ceci ! tu n’es pas non plus cela ! » En d’autres termes : tu n’appartiens pas au Cosmos, tu n’es pas nécessairement entraîné dans la Création ; nécessairement, c’est-à-dire en vertu de la loi propre de ton être. La présence de l’homme dans le Cosmos est, pour la pensée indienne, soit un malheureux hasard, soit une illusion. [...] Cette dépréciation du Cosmos et de la Vie, [...] le détachement des « formes » et même leur mépris est une attitude propre à la philosophie et, pour une bonne part, à la mystique indiennes post-upanishadiques.
~ L’équation douleur-existence. « Tout est souffrance pour le sage », écrit Patanjali (Yoga-Sutra, II, 15). Mais Patanjali n’est ni le premier ni le dernier à constater cette universelle souffrance. [...] Cela est un leitmotiv de toute la spéculation indienne post-upanishadique. Les techniques sotériologiques, aussi bien que les doctrines métaphysiques trouvent leur justification dans cette souffrance universelle ; car elles ne sont valables que pour autant qu’elles délivrent l’homme de la « douleur ». L’expérience humaine, quelle que soit sa nature, engendre la souffrance. « Le corps est douleur, parce qu’il est le lieu de la douleur ; les sens, les objets, les perceptions sont souffrance, parce qu’ils mènent à la souffrance ; le plaisir même est souffrance, parce qu’il est suivi de souffrance » (Aniruddha, commentant Samkhya-Sutra, II, 1). Et Içvara Krishna, l’auteur du plus ancien traité Samkhya, affirme qu’à la base de cette philosophie, il y a le désir de l’homme d’échapper à la torture des trois souffrances : de la misère céleste (provoquée par les dieux), de la misère terrestre (causée par la nature), et de la misère intérieure ou organique (Samkhya-Karika, 1).
~ L’homme n’est pas seul à souffrir ; la douleur est une nécessité cosmique, une modalité ontologique à laquelle toute « forme » qui se manifeste comme telle est vouée. Que l’on soit dieu, ou bien un minuscule insecte, le simple fait d’exister dans le temps, d’avoir une durée, implique la douleur. [...] S’« affranchir » de la souffrance, tel est le but de toutes les philosophies et de toutes les mystiques indiennes.
[Hindouisme]. Extraits de : Mircea Eliade, Techniques du Yoga.

~ Là est le pessimisme des Upanishads : les hommes ne sont même pas des « exilés dans une vallée de larmes » comme dit le christianisme, mais les prisonniers d’un univers fantomatique où ils ne peuvent que se perdre – à jamais – s’ils ne connaissent pas la misère de leur condition.
~ Dans les Upanishads [...] « celui qui sait » [...] proclame que l’existence est un mal, une souffrance. [...] L’idéal mystique n’est donc pas de gagner un paradis [...] mais bien de faire retour à l’essence, de se dégager de l’existence, de quitter le domaine de la mâyâ pour accéder à celui du brahman. [...] L’image des étincelles est ici la plus adéquate : jaillies du feu cosmique, c’est à celui-ci qu’elles doivent retourner, et le plus tôt sera le mieux. Reste à savoir s’il est possible de raccourcir la route à suivre et, si oui, comment. Or c’est justement à enseigner de tels « raccourcis » que les Upanishads sont essentiellement vouées. [...] Ainsi lit-on dans toutes, si courtes soient-elles, qu’il est possible, et souhaitable, d’échapper à l’existence.
 [Hindouisme]. Extraits de : Jean Varenne, L’hindouisme des textes sacrés in Marie-Madeleine Davy (dir.), Encyclopédie des mystiques (tome III).


Nous sommes expulsés de l’utérus de notre mère comme tirés par un canon, vers une porte de grange cloutée de vieilles limes à ongles et de crochets rouillés.
Christopher Hitchens. Angleterre XXI°. Cité in : Quentin S. Crisp, Antinatalism – A thought experiment.


Don Juan n’eût-il pas à la fin trouvé la vie terrestre plate et insipide ? Parvenu au souverain mépris de toute l’humanité, il se révolta plus violemment encore contre la créature en laquelle il avait vu le bien suprême et qui l’avait amèrement déçu. Dès lors Don Juan ne chercha plus dans la possession de la femme l’assouvissement de sa sensualité, mais un défi ironique lancé à la nature et au Créateur. Sa rébellion, je le répète, fut dirigée surtout contre les femmes, d’abord par un profond dédain qui le poussait à braver l’opinion, et ensuite par amère dérision envers tous ceux qui attendent d’un amour heureux et de l’union bourgeoise qui lui succède la satisfaction, même incomplète, des hautes aspirations que la nature ennemie a déposées en nous. Il en vint donc à la révolte et se dressa, pour le détruire, face à l’Etre inconnu, arbitre de nos destins, qui n’était plus à ses yeux qu’un monstre pervers, se jouant cruellement des pitoyables créatures nées de son caprice. Il le brava chaque fois que se nouait une liaison amoureuse. Séduire une fiancée chérie, détruire irrémédiablement l’amour heureux d’un couple n’est plus désormais pour Don Juan qu’autant de victoires remportées sur ce Maître détesté. Il a le sentiment de s’élever ainsi au-dessus de son étroite condition terrestre, au-dessus de la nature et de Dieu lui-même ! Et, vraiment, il n’aspire plus qu’à s’évader de cette vie.
E. T. A. Hoffmann, Don Juan. Allemagne XIX°

Quel malheur pour toi, Jennaro, que d’être né !
E.T.A. Hoffmann, Le poète et le compositeur. Allemagne XIX°

Pour combler jusque par-dessus les bords la mesure de nos tribulations, le ciel nous envoya encore en punition ce petit laideron, que je mis au monde à ma confusion et à la risée de tout le village. […] Que Dieu ait pitié de lui et de nous, qui serons réduits à le substanter, même quand il sera devenu grand, pour notre crève-cœur et à notre préjudice ; car le malitorne ne manquera pas de bien boire et de bien manger de plus en plus, mais de sa vie il ne sera capable de travailler. — Non, non ! c’est plus qu’une créature n’en peut supporter sur cette terre ! Ah, si je pouvais donc mourir ! — mourir…
E. T. A. Hoffmann, Le petit Zachée, surnommé Cinabre. Allemagne XIX°

Hélas ! le bon M. Tyss ne pouvait savoir, ne pouvait pressentir, que ce même petit garçon dont la naissance lui avait apporté tant de joie, allait être si vite pour lui une cause de chagrin et de désespoir.
E. T. A. Hoffmann, Maître Puce. Allemagne XIX°


~ N’y a-t-il rien de plus que mon tourment dans ce monde en ruine ?
O pourquoi m’as-tu fait naître, ma mère !
~ Je déteste ceux qui m’ont fait naître. Parents ! Parents !
Hugo von Hofmannsthal, Ödipus und die Sphinx. Autriche XX°


~ Nous plaignons les morts comme s’ils se sentaient morts : pourtant, les morts connaissent la paix.
~ Malheureux […] qui êtes tout pénétrés vous aussi du Rien qui règne sur nous, qui comprenez que ce pour quoi nous sommes nés n’est rien, que ce que nous aimons n’est rien, que ce en quoi nous croyons n’est rien, que nous nous épuisons pour rien, et pour dans le Rien lentement nous engloutir.
~ Il m’arrive de me jeter à genoux, de me tordre les mains et d’implorer je ne sais qui de changer mes pensées ! Mais la vérité crie, et je ne la puis bâillonner. Ne m’en suis-je pas doublement convaincu ? Quand je considère la vie, quelle est l’ultime limite de tout ? Le Rien. Quand je m’élève dans l’esprit, quel est le plus haut degré de tout ? Le Rien.
Friedrich Hölderlin, Hypérion. Allemagne XVIII°


Messagère de paix qui ouvres au pèlerin
Fatigué de la terre, ô Mort, le paradis,
Quand me guideras-tu de ton caducée d’or
Vers le ciel, jusqu’à mon pays ?
O bulle vide, Vie, ne tarde de t’enfuir,
Tu ne m’as donné que peu d’heures souriantes
Et beaucoup à pleurer, mère de mon tourment,
Voici ce que tu me fus, depuis que le bourgeon
De l’enfance a fleuri. O mort, cueille-la, cette fleur
Obscure, et toi, poussière de mes os, retombe
Sur la terre, sur ta mère, retombe
En la fratrie des lombrics emmêlés.
Ludwig Christoph Heinrich Hölty, La mort. Allemagne XVIII°


O mère, puissé-je n’être jamais né !
O bon temps, comme tu es loin !
Arno Holz, Le livre du temps – Buch der Zeit. Allemagne XIX°


~ Hélas ! ô mon enfant, pourquoi t’ai-je enfanté, malheur ! puis élevé ? […] C’est pour un triste sort que je t’aurai donné le jour dans mon palais !
~ Ah ! pourquoi donc, le jour où m’enfanta ma mère, n’ai-je été prise et transportée, par le vent mauvais d’une bourrasque, en haut d’une montagne ou dans la mer houleuse aux flots retentissants : là j’aurais disparu, noyée, avant d’avoir provoqué tant de maux !
~ De tout ce qui sur terre a souffle et mouvement, aucun être n’est plus misérable que l’homme.
~ Eétion m’a nourri pendant mon enfance, l’infortuné, pour une terrible fortune ! Comme il eût dû ne pas m’engendrer !
~ Tel est le sort que les dieux ont filé pour les malheureux mortels : vivre dans la douleur, alors qu’eux seuls, ils sont exempts de tout souci.
Homère, Iliade. Grèce VIII° AC


~ Nous trouverons rarement un homme qui se vante d’avoir vécu heureux et qui, son temps fini, parte, content de son existence, comme un convive qui a bien dîné.
~ Les hommes n’obtiennent rien sans peine.
~ Presque tous les hommes sont fous.
~ Parmi les hommes, les uns sont vicieux constamment, et font le mal sans relâche. D’autres, plus nombreux, flottent, tantôt tournés vers le bien, tantôt inclinés au mal.
Horace, Satires. Rome I° AC

~ Je hais la foule profane et je l’écarte.
~ Quelles pertes, quels dommages n’apporte point le temps ? Nos pères valaient moins que leurs pères ; nous, leurs enfants, valons moins qu’eux ; ceux que nous aurons vaudront moins encore.
Horace, Odes. Rome I° AC


Seules quelques décennies de recherche et d’expérimentation sont encore nécessaires pour nous mettre en mains des armes qui pourront provoquer la délivrance de toute vie, la pasteurisation globale depuis le sommet des montagnes jusqu’à la nuit des profondeurs océaniques. Plus qu’une génération de patience et de retenue, et l’apocalypse ne sera plus seulement qu’une apocalypse perfide et personnelle, mais celle de toutes les créatures ! Le jour du jugement dernier de l’organique ! Le retour de la matière impolluée ! La survenue du royaume des cieux sur terre !
Ulrich Horstmann, Das Untier – Konturen einer Philosophie der Menschenflucht (Le monstre – Contours d’une philosophie de la déroute de l’humanité). Allemagne XX°

Un des penseurs apocalyptiques les plus explicites de notre époque est Ulrich Horstmann. [...] Horstmann considère l’autodestruction nucléaire, biologique et chimique de l’humanité non seulement comme inévitable et imminente, mais aussi comme désirable, puisque pour lui il s’en suivra une « rédemption universelle », qui consiste en la destruction de l’homme et le retour de toute vie à « la paix ontologique » (Seinsfrieden) de la matière inorganique. [...] Il existe un état de perfection, mais seulement sans l’homme : « Le véritable Jardin d’Eden est un désert. » L’état de plénitude devient ainsi – en ce qui concerne l’homme – identique au vide complet.
[Ulrich Horstmann]. Allemagne XX°. Extraits de : Klaus Vondung, The Apocalypse in Germany.

Horstmann [...] saluait la possibilité, voire la probabilité, d’une guerre nucléaire. Il conçoit en effet l’armement atomique comme le fort ingénieux stratagème qui pourrait permettre à la planète de se débarrasser de celui des vivants qui représente pour elle le plus grand danger, à savoir… nous-mêmes. Et il ne s’agissait pas là de satire ou d’humour noir, l’auteur ayant, dans ses écrits postérieurs, continué à défendre la même position le plus sérieusement du monde. De plus, ce ne serait pas seulement pour les autres vivants que le maintien de l’espèce humaine serait un mal, mais pour chacun des individus qui la constituent.
[Ulrich Horstmann]. Allemagne XX°. Extrait de : Rémi Brague, Le propre de l’homme – Sur une légitimité menacée.

Ulrich Horstmann [...] salue dans son Untier l’existence de l’arsenal ABC [Atomique, Chimique et Biologique] parce que celui-ci rend enfin possible la fin de l’humanité – tout comme celle de l’ensemble de la biosphère –, ce dont des penseurs comme Hartmann avaient seulement osé rêver en dilettantes.
[Ulrich Horstmann]. Allemagne XX°. Extrait de : Karim Akerma, Antinatalismus – Ein Handbuch.


~ Mon cœur d’une guerre fatale
Soutiendra-t-il toujours l’effort ?
Remplira-t-elle l’intervalle
De ma naissance et de ma mort ?
~ C’est l’arrêt de la destinée
Qu’ici l’homme soit malheureux.
L’espoir imposteur qui l’enflamme
Ne sert qu’à mieux fermer son âme
A l’heureuse tranquillité.
Antoine Houdart de la Motte, L’homme. France XVIII°


~ Ecrasés par le sentiment de leur propre insignifiance les gens se décident à faire des enfants.
~ Il n’y avait pas seulement en moi ce dégoût légitime qui saisit tout homme normalement constitué à la vue d’un bébé ; il n’y avait pas seulement cette conviction bien ancrée que l'enfant est une sorte de nain vicieux, d'une cruauté innée, chez qui se retrouvent immédiatement les pires traits de l'espèce, et dont les animaux domestiques se détournent avec une sage prudence. Il y avait aussi, plus profondément, une horreur, une authentique horreur face à ce calvaire ininterrompu qu’est l’existence des hommes.
~ Le seul projet de l’humanité c'est de se reproduire, de continuer l'espèce. Cet objectif a beau être de toute évidence insignifiant, elle le poursuit avec un acharnement effroyable.
~ Les hommes ont beau être malheureux, atrocement malheureux, ils s’opposent de toutes leurs forces à ce qui pourrait changer leur sort ; ils veulent des enfants, et des enfants semblables à eux, afin de creuser leur propre tombe et de perpétuer les conditions du malheur.
Michel Houellebecq, La possibilité d’une île. France XXI°


La nuit où mon père m’a conçu
Son esprit n’était pas sur moi ;
Il n’a pas assommé son caprice
Pour réfléchir si je devais être
Le fils que vous voyez.
Le jour où ma mère m’a donné naissance
Elle fut une imbécile heureuse,
Pour toute la peine que je lui ai coûtée,
Avoir donné naissance au gars
Auquel elle a donné naissance. […]
Nouez-moi le nœud coulant
Et je pourrirai.
Car ainsi se finit le jeu
Qui n’aurait pas dû commencer.
Mon père et ma mère
Ils ont un fils prometteur,
Et je n’en ai aucun.
Alfred Edward Housman, Le coupable. Angleterre XX°


Vous avez besoin d’un permis pour acheter un chien, pour conduire une voiture. Merde, vous avez même besoin d’un permis pour attraper un poisson ! Mais ils laisseront n’importe quel trou de cul de branleur de fion être père.
Ron Howard, Parenthood. Etats-Unis XX°


Le mieux ce serait que les hommes et les femmes du monde entier s’entendent et nous fichent la paix avec les enfants […] Il faudrait instituer un abattement de salaire, cinquante couronnes pour le premier enfant, cent couronnes pour le deuxième, trois cent couronnes pour le troisième, à la naissance du cinquième le salaire serait réduit de moitié et les coupables seraient fouettés en place publique.
Bohumil Hrabal, Cours de danse pour adultes et élèves avancés. Tchéquie XX°


~ Nous sommes devenus si tolérants que certains jeunes rebelles en herbe sont proches du désespoir, parce qu’ils ne réussissent tout simplement pas à provoquer leurs parents et d’autres adultes. Eh bien, j’aurais pour ces jeunes gens un tuyau tiré de ma propre expérience : ils devraient juste une fois proclamer catégoriquement qu’ils ne veulent jamais avoir d’enfant...
~ En quoi devons-nous être reconnaissants aux parents de l’auteur de la tuerie de Winnenden ? Le monde est plein de personnes qui nuisent plus à la société qu’elles ne lui profitent. Les éloges prématurés, que leurs parents ont reçus pour avoir éduqué ces personnes, étaient de toute évidence injustifiés. Pourtant, le consensus de base qui prévaut est que la parentalité en soi représente une contribution sociale précieuse.
~ Celui qui « par amour des hommes » salue, par principe et sans réserve, l’arrivée de nouveaux humains sur cette planète, alors qu’il n’y a déjà qu’à peine assez de ressources pour la population existante, accorde finalement – aussi dur cela puisse-t-il sembler – plus d’attention au concept de « nouvelle vie humaine » qu’aux besoins des personnes existant réellement en chair et en os. Il accepte que les nouveaux-nés soient d’emblée condamnés à une vie de pénurie et éventuellement – pensons seulement au taux élevé de mortalité infantile dans certains pays africains – à une mort prématurée. Il se cache derrière cela une profonde indifférence à l’égard de la souffrance humaine.
~ Ceci repose sur l’idée largement répandue que la procréation est une affaire privée, dans laquelle les autres personnes, et à plus forte raison l’Etat, n’ont pas à s’immiscer. A partir de cette présomption, on déduit un droit de mettre au monde autant d’enfants que l’on veut – pour ainsi dire un droit à la procréation illimitée. Ceci est certes compréhensible, puisque la procréation est étroitement liée au sexe ; un domaine plus intime, autrement dit plus privé, se laisse à peine penser. Néanmoins, cette présomption n’a aucun fondement légal ou éthique. Cela peut surprendre, mais c’est ainsi.
~ Le droit de fonder une famille, interprété et vécu comme un droit à la procréation illimitée, s’avère diamétralement opposé à la protection des espèces – et à la conservation de la nature, car les habitats des autres espèces doivent céder la place aux habitations humaines, aux routes, aux surfaces agricoles, aux installations industrielles, aux décharges ou à la soif de matières premières. A quel point la croissance démographique a conduit à une éviction impitoyable des autres espèces, les effrayants chiffres suivants l’illustrent : il y a 10.000 ans, les êtres humains et leurs animaux domestiques, y compris les animaux servant à la production de nourriture, comme le bétail, représentaient 0,1% de la biomasse de mammifères du monde. Au début de la révolution industrielle, ils en représentaient 10 à 12%. Aujourd’hui, ils en représentent incroyablement 96 à 98%. Tous les mammifères sauvages confondus ne représentent donc plus que 2 à 4% de la biomasse de tous les mammifères du monde.
~ Il ne peut y avoir de droit à une procréation illimitée, car à un tel droit s’opposent de nombreux autres droits et intérêts de plus haute priorité. […] L’acte de procréation n’est en aucun cas de nature strictement privée. Au contraire, il n’y a probablement aucune autre action d’individus particuliers qui a des conséquences d’aussi grande portée – des conséquences qui dépassent largement la sphère privée des parents. La procréation est une affaire d’intérêt public, et est par conséquent liée envers la société à certaines obligations restrictives. Car plus il y a de gens en concurrence pour des ressources telles que la nourriture et l’eau, le logement, l’accès à l’éducation, l’emploi, la sécurité sociale, etc., moins elles sont disponibles pour chaque individu. Plus il y a de personnes qui exercent leurs droits, plus toutes ces personnes se limitent mutuellement dans l’exercice de leurs droits.
Nicole Huber, Libre d’enfant ou pourquoi les personnes sans progéniture ne sont pas des parasites sociaux – Kinderfrei oder warum Menschen ohne Nachwuchs keine Sozialschmarotzer sind. Allemagne XXI°


« Qui aime ses enfants, les châtie » –
Ce mot de puritain ne m’a jamais plu.
J’enseigne un devoir de père plus humain :
Qui aime ses enfants, ne les engendre pas.
Walter Hueck, Personnes entre ellesMenschen unter sich. Allemagne XX°

~ Je ne peux pas exiger de mes fils qu’ils viennent au monde. [...] Qui aime ses enfants ne les engendre pas. On proteste contre cet amour paternel prophylactique, on le dit anti-chrétien, anti-patriotique, immoral. On ne va pas loin avec ces objections. Le christianisme n’a absolument rien à faire de la reproduction de mon existence, ou tout au plus plaide-t-il contre cette entreprise. Le patriotisme me rappelle qu’il y a déjà vingt millions d’Allemands en trop, et m’empêche pour ma part d’augmenter encore la surpopulation de ce malheureux pays1. La morale à présent : référons-nous à l’impératif kantien pour chaque personne particulière. Si la maxime de mes actes était érigée en loi universelle, alors l’humanité s’éteindrait en 50 ans et serait libérée de cette misérable existence. Voilà en vérité une intéressante solution, et presque la plus heureuse que je puisse imaginer, aux problèmes de l’humanité.
~ Qui met un enfant au monde approuve de ce fait le monde et porte sur ses épaules la responsabilité de toutes les horreurs et réalités discutables de celui-ci. Il participe à sa petite et modeste échelle à la divine œuvre de création, il est responsable et coupable de ce monde tout comme le Dieu créateur lui-même, car il n’y a aucune différence de fond entre créer le macrocosme qu’est l’univers avec ses étoiles et ses planètes, et créer seulement ce microcosme qu’est un simple enfant humain. C’est désormais son monde, dans lequel se produisent toutes les méchancetés des hommes et toutes les cruautés du destin. Il avait le temps d’examiner ce monde, il avait le droit de porter un jugement sur celui-ci, il était en son pouvoir de ne pas jouer ce jeu et de s’éloigner en silence comme un spectateur qui ne s’implique pas. Mais à présent, il s’est inséré dans le grand cycle de la mort et du devenir et s’est impliqué, par sa propre décision, dans la divine œuvre de création de ce monde ; à présent, nulle plainte n’est d’aucune aide ; à présent, il a accepté, en toute conscience, tous les droits et devoirs d’un habitant de la terre ; à présent, il est prisonnier de ce monde pour l’éternité ; à présent, il s’inscrit dans la responsabilité de chaque meurtre de Caïn et de chaque trahison de Judas, qui se produisent dans ce monde terrible et cruel.
Walter Hueck, Où allons-nous ? Un guide pour les contemporains – Wohin steuern wir ? Eine Fibel für Zeitgenossen. Allemagne XX°
1. Ce texte fut écrit en 1931... Deux ans plus tard, les nazis arrivaient au pouvoir en Allemagne. On ne peut que saluer la lucidité et le sens éthique de Walter Hueck. C’est un acte d’amour en effet que de ne pas infliger à sa progéniture l’inconfort de naître dans une époque incertaine...


Qui possède ces petits pieds décharnés ? La Mort.
Qui possède ce visage ébouriffé, semblant brûlé ? La Mort.
[…]
Qui possède ces tripes innommables ? La Mort.
Qui possède ce cerveau douteux ? La Mort.
Tout ce sang malpropre et compliqué ? La Mort.
Ces yeux d’une efficacité minimale ? La Mort.
Cette malfaisante petite langue ? La Mort.
Cet occasionnel état d’éveil ? La Mort.
[…]
Qui possède toute la pluvieuse, rocailleuse Terre ? La Mort.
Qui possède la totalité de l’espace ? La Mort.
Qui est plus fort que l’espoir ? La Mort.
Qui est plus fort que le vouloir ? La Mort.
Plus fort que l’amour ? La Mort.
Plus fort que la vie ? La Mort.
Ted Hughes, Examen à la porte de l’utérus. Angleterre XX°

Il vit les étoiles, fumant au loin dans le noir, champignons de la forêt du rien, nébulisant leurs spores, les virus de Dieu. Et il trembla devant l’horreur de la Création.
Ted Hughes, Corbeau atterrit. Angleterre XX°

Il y avait un garçon qui était Œdipe
[...]
Sa Maman gonfla et pleura et gonfla
Avec fracas il s’en extirpa
Son Père aiguisa son hachoir
Quand il entendit crier ce bébé
Mamma       Mamma
O ne tranche pas son zizi
Vagit sa Maman avec horreur
Pense à la joie qui en proviendra
Demain et demain
Mamma       Mamma
Mais Papa avait reçu l’ordre de Dieu
Il prit ce moutard hurlant
Il attacha ses jambes en nœuds tordus
Et le jeta au chat
Mamma       Mamma
Mais la chance était avec Œdipe
Car quand il percuta le sol
Il rebondit comme un diable à ressort
Et assomma son Papa
Mamma       Mamma
Il frappa son Papa d’un tel coup
Que raide mort tomba son Papa
Son cri monta tout droit vers Dieu là-haut
Son fantôme, lui, descendit en Enfer
Mamma       Mamma
[...]
La Sphinx, elle lui fit signe avec ses jambes
Et ouvrit grand son gouffre
Œdipe se tint raide et pleura
Devant la chose effroyable qu’il voyait
Mamma       Mamma
[...]
Œdipe prit une hache et fendit
La Sphinx en deux de haut en bas
Les réponses ne sont pas en moi, cria-t-il
Peut-être tes entrailles les ont-elles
Mamma       Mamma
Et de là sortirent dix mille fantômes,
Tous dans leurs corps pourris
Pleurant, Vous ne saurez jamais
Combien Dieu est un cruel salopard
Mamma       Mamma
[...]
Il poignarde sa Maman dans les entrailles
Et lui sourit au visage
Mamma       Mamma
[...]
Œdipe leva de nouveau sa hache
Le Monde est sombre, cria-t-il
Le Monde est sombre un pouce en avant
Qu’est-ce qu’il y a de l’autre côté ?
Mamma       Mamma
Il fendit sa Maman en deux comme un melon
Il fut trempé de sang
Et se découvrit recroquevillé à l’intérieur
Comme s’il n’était jamais né
Ted Hughes, Chanson pour un phallus. Angleterre XX°

Mais Dieu dit : « Tu vois cette pomme ?
Je la presse et regarde – du cidre »
Le serpent but un bon coup
Et se recroquevilla en point d’interrogation.
Adam but et dit : « Sois mon dieu. »
Eve but et ouvrit ses jambes
Et appela le bituré serpent
Et lui donna du sauvage bon temps.
Dieu accourut et le dit à Adam
Qui tenta, ivre de rage, de se pendre dans le verger.
Et Eve commença à glapir : « Au viol ! Au viol ! »
En tapant du talon sur sa tête.
A présent, chaque fois que le serpent apparaît, elle glapit :
« Le voici qu’il revient ! A l’aide ! Au secours ! »
Alors Adam fracasse une chaise sur sa tête,
Et Dieu dit : « Je suis bien content »
Et tout va en enfer.
Ted Hughes, La tragédie de la pomme. Angleterre XX°

Ci-dessus – les lèvres bien connues, délicatement déprimées.
Ci-dessous barbe entre les cuisses.
Ci-dessus – son sourcil, le remarquable coffret de gemmes.
Ci-dessous – le ventre avec son nœud de sang.
Ci-dessus – beaucoup de douloureux froncements.
Ci-dessous – la bombe à retardement du futur.
Ci-dessus – ses dents parfaites, avec au coin la nuance d’un croc.
Ci-dessous – les meules de deux mondes.
Ci-dessus – un mot et un soupir.
Ci-dessous – des gouttes de sang et des bébés.
Ci-dessus – le visage, en forme de cœur parfait.
Ci-dessous – le visage déchiré du cœur.
Ted Hughes, Fragment d’une ancienne tablette. Angleterre XX°
Note : le recueil Crow, dont sont issus les cinq textes de Ted Hughes cités ci-dessus, contient un nombre significatif d’autres poèmes fortement teintés d’antinatalisme ou d’antifamilialisme. Parmi ceux-ci : Lineage, A kill, A childish prank, Crow’s first lesson, Crow’s account of St George, Criminal ballad, Crow’s undersong, Crow’s elephant totem song, Crow blacker than ever, Notes for a little play ou encore Two Eskimo songs.

Chaque fois qu’il donnait une lecture publique de Crow, Hughes fournissait un contexte narratif, et il a plusieurs fois exprimé le désir de compléter l’œuvre telle que conçue à l’origine. Cependant, le contexte narratif que Hughes a rendu public est lui-même fragmentaire et le plus souvent décousu. Il n’y a que deux épisodes entièrement développés. L’un, que Hughes a intitulé en premier jet « La querelle dans le ciel », est le début de l’histoire. Après avoir accompli sa Création, Dieu fit un cauchemar sous la forme d’une Main et d’une Voix. Le cauchemar se moque de Sa Création, et surtout du chef-d’œuvre de Dieu : l’Homme. Parallèlement, un émissaire vient du monde pour supplier Dieu de reprendre la vie, parce qu’elle est insupportable. La réponse de Dieu est de mettre au défi le cauchemar de faire mieux, et la conséquence en est que le cauchemar crée Crow, qui devient le compagnon de Dieu, essayant souvent mais sans succès d’améliorer Sa Création.
[Ted Hughes, The Quarrel in Heaven]. Angleterre XX°. Extrait de : Neil Roberts (Emeritus Professor of English Literature at the University of Sheffield), [Introduction to Ted Hughes’s masterpiece] – texte publié sur le site The Ted Hughes Society : http://thetedhughessociety.org/crow

Prométhée sur son rocher
Entendit le cri des utérus.
Il les avait inventés.
Puis il avait volé le feu sacré, et l’avait caché en eux.
Il lui semblait
Que les utérus tambourinaient comme des fours
Et que les hommes étaient nourris dans les utérus.
Et il semblait
Que les bébés étaient traînés en pleurant pitoyablement
Hors des utérus.
Et il semblait
Que le vautour était la vengeance des utérus
Pour lui montrer ce que cela faisait,
Et il semblait
Que ses chaînes dureraient, et que le vautour le réveillerait,
Aussi longtemps qu’il y aurait des utérus
Même si c’était pour toujours,
Et il semblait
Qu’il avait déjà trop inventé.
Ted Hughes, Prométhée sur son rocher entendit le cri des utérus. Angleterre XX°


Mon malheur, c’est d’être né.
Victor HugoA celle qui est voilée. France XIX°

Le premier enfant continue la dernière poupée.
Victor Hugo, Les misérables. France XIX°


Nous avons pris sur nous de taire le drame pour ne pas gâcher la dernière illusion d’une femme qui avait déjà beaucoup souffert. Elle n’était pas au bout de son calvaire. […] J’entre dans le réduit et l’odeur de putréfaction m’agresse. Pourtant, je me décide à regarder… Je pressentais qu’il ne pouvait pas être mort de mort naturelle. Gonzague n’avait jamais été comme les autres. La première chose que j’ai découverte, c’est la bouteille d’eau minérale, puis le flacon de comprimés… Et un message tout simple, écrit sur une feuille de papier posée près du tapis : La vie ne vaut pas la peine d’être vécue. […] Ses dernières paroles. Gonzague n’avait pas besoin d’autre mobile pour décider de sa fin. […] Gonzague devait être tourmenté par la mort depuis longtemps pour oser venir la chercher dans le noir, allongé sur un sol douteux, sans savoir la durée de son agonie… Et dans quatre heures il faudra accueillir la « famille » et célébrer Noël, s’envoyer des vœux… Je m’enfuis en emportant le message. Plusieurs fois, je le relis dans l’entrée mieux éclairée. La vie ne vaut pas la peine d’être vécue. En cet après-midi de Noël 74, j’ai dix-huit ans. Et jamais je n’ai été aussi seul de ma vie. Encore plus seul qu’au chevet de mon père moribond qui réclamait un message d’amour qui ne lui arriva jamais. […] J’ai applaudi à la bûche, sous les yeux de Béatrice qui ne cillaient pas, mais j’entendais la voix de Gonzague qui murmurait : « La vie ne vaut pas la peine d’être vécue. » […] Gonzague avait décidé de son sort dans des conditions que j’admire. Nul d’entre nous ne saura quand il a pratiqué l’acte qui devait le libérer, célébré cette affreuse liturgie. L’instant même de son geste, celui où l’un d’entre nous aurait pu l’aider, le dissuader, restera un mystère. Une punition supplémentaire pour sa mère. […] Gonzague avait tout prévu. Il aurait pu sauter d’une fenêtre, se tirer une balle dans la tête… mais courir le risque de se rater, donc de s’estropier. Il se tuait pour ne plus être un estropié de la vie, son choix était épouvantable et touchant. Touchant parce qu’il l’avait accompli à proximité, comme pour rester proche de nous, épouvantable parce qu’il savait quelle violente souffrance ce serait pour notre mère. […] Son suicide n’était pas un appel au secours, c’était une vraie fin : Gonzague déposait son bilan. Quatre ans plus tôt, mon père avait succombé à un cancer aggravé d’une tentative de suicide. Je pense, sans en avoir de certitude, que si mon père avait vécu, et si nos parents ne s’étaient pas, auparavant, séparés, Gonzague n’aurait pas agi ainsi. Il avait très mal supporté leur rupture. […] Ce qui a été délivrance pour Gonzague sera géhenne pour elle [sa mère]. La « faute » continuera à la poursuivre, à la mortifier. […] Il avait agi en toute lucidité. Son dernier geste avait été un acte de courage et de grandeur. Faute d’y mettre un terme, sa vie n’aurait été qu’une succession de tourments. Il avait le droit suprême de décider. On lui avait « infligé une vie » qui ne valait pas la peine d’être vécue.
[Gonzague Hulot]. France XX°. Extraits de : Nicolas Hulot, Les chemins de traverse.


~ Le bonheur est un acte d’inconscience…
~ Chaque individu est une force de désintégration et nous sommes cinq milliards. Tant qu’on ne maîtrisera pas la « pollution démographique », il faudra réparer les dégâts de chacun et essayer de les limiter puis de les réduire.
~ L’homme, le plus dangereux des animaux ! Le seul qui ait inventé le crime et le gâchis. Tuer pour manger, c’est une fatalité biologique. Tuer pour le plaisir sadique ou le spectacle, c’est la honte.
~ Le cygne [trompette] se marie à l’âge de quatre ans et, pendant les vingt années de bonheur conjugal, le couple trompette va retourner au même endroit. Cette fidélité est la faiblesse de l’espèce. Si son étang est vidé, sa forêt tailladée, le couple ne fera pas de petits. Car s’il ne reconnaît pas le lieu de ses amours, il refuse l’amour. […] Le dangereux bipède se croit tous les droits et se reproduit tellement plus vite que les cygnes et les éléphants !
~ L’homo occidentalis vulgaris prétend être fou d’individualisme alors que les singeries de la mode le conditionnent en quelques jours. Ils veulent être remarqués, les choyés du progrès mais ils sont tous pareils, font les mêmes choses au même moment, grossissent en troupeaux de plusieurs milliards de têtes qui s’abritent dans les mêmes tours de béton. Si on n’a plus d’identité, si on se dissimule sous l’uniforme, on n’existe plus…
~ Grande discussion sur l’amour avec un ami : il attend un enfant et cette attente le trouble. […] Chacun est vulnérable en amour alors qu’on n’a pas le droit d’être « fragile » avec un enfant qui doit tout attendre de vous. Pas de droit à l’erreur avec un bébé. Dans ce cas, le doute est non seulement permis, mais souhaitable, il faut analyser avant de se décider pour toujours. Il faut apprécier, sans erreur d’orientation, le « quand » et le « comment ».
~ Parfois les sampans s’amarrent en village comme à Lang Nê où vivent toute l’année des familles de dix/douze personnes dans un espace confiné prévu pour deux. Trois générations cohabitent sous le toit de bambou, agglutinées autour de la pierre creusée en son milieu où brûle un feu perpétuel. Dénuement qui dépasse l’entendement, même en Asie habituée à la surpopulation et aux déficits alimentaires. On se dit que ça ne pourra pas tenir, la misère est trop évidente. Les carences sont d’autant plus impressionnantes qu’aucun sourire n’éclaire […] cette existence de paria. […] Plus je voyage et plus je découvre la misère du monde.
~ Chaque jour je connais des temps de bonheur apparent qui ne sont probablement que des malheurs évités. C’est le problème essentiel de l’humanité dont les quatre cinquièmes souffrent et dont le dernier cinquième redoute tellement de souffrir que cela peut devenir une souffrance.
~ Réfléchir sur l’utilité des choses, sur la sienne propre, c’est se taper très vite la tête contre les murs. On mesure l’étroitesse de notre système, le vide qui nous entoure. L’être vit dans le néant.
~ Le touriste est bien la seule espèce pour laquelle je ne signerais pas de pétition si elle était en danger.
Nicolas Hulot, Etats d’âme. France XX°

Créer des enfants restera une question individuelle, et non collective. Dans ce sens, éduquer les populations en les amenant à s’interroger sur leurs capacités à élever des enfants et la place que ces derniers trouveront dans la société me paraît souhaitable.
Nicolas Hulot, Le syndrome du Titanic. France XXI°


Plutôt que de fournir encore de la chair à mitraille, femmes, refusez vos flancs aux fécondations malheureuses. Que vos étreintes soient stériles ! Pour protester efficacement contre des criminelles hécatombes humaines, faites la grève des ventres !
Eugène Humbert. France XX°. Cité in : R.H Guerrand et F. Ronsin, Jeanne Humbert et la lutte pour le contrôle des naissances.


Je ne suis pas fait pour être père de famille. En outre, je tiens le mariage pour un péché, et l’enfantement pour un crime. C’est aussi ma conviction que celui qui accepte le joug du mariage est un idiot, et plus encore pécheur. Un idiot, parce qu’il renonce à sa liberté, sans en obtenir un dédommagement proportionnel ; un pécheur, parce qu'il donne la vie à des enfants, sans pouvoir leur donner la certitude du bonheur.
[Pseudo - Alexander von Humboldt]. Allemagne XIX°. Cité in : Philipp Mainländer, Die Philosophie der Erlösung.


~ Toute la terre est maudite et souillée. Une guerre perpétuelle est allumée entre les créatures vivantes.
~ Dès l’abord, l’entrée dans la vie est source d’angoisse pour l’enfant nouveau-né et pour sa misérable mère. Faiblesse, impuissance, détresse, accompagnent chaque étape de la vie, laquelle s’achève enfin dans l’agonie et l’horreur.
~ Insatisfaits de la vie, craignant la mort. Voilà, dis-je, la chaîne secrète qui nous retient. Nous sommes poussés par la terreur, et non par la séduction, à poursuivre notre existence.
~ Ni l’homme, ni aucun autre animal, ne sont heureux.
David Hume, Dialogues sur la religion naturelle. Ecosse XVIII°


~ [L’homme] perpétue l’héritage maudit en donnant la vie à des êtres qui ne demandent pas à naître. Inconsciemment, le plus souvent, il commet cet homicide par imprudence, et se trouve ordinairement assez puni par les conséquences désastreuses de ce moment d’oubli. Mais lorsqu’il prémédite ce crime, aucun châtiment n’est assez dur pour le lui faire expier.
~ Quel que soit le sentiment auquel obéissent ceux qui procréent, du moment qu’ils agissent en connaissance de cause, n’ignorant pas qu’ils forment un organisme pour la douleur, une âme pour les déceptions, un être néfaste, à la fois victime et bourreau, ils sont des malfaiteurs, et l’enfant a le droit de considérer son père et sa mère comme de simples meurtriers. Oui, meurtriers !... Car qui donne la vie donne la mort. Cette perspective devrait suffire à commander l’abstention. Mais alors ?… C’est la fin du monde !...  Evidemment, c’est la fin du monde à une échéance plus ou moins brève… et, pour ma part, je n’y vois aucun inconvénient.
Marie Huot, Le mal de vivre. France XX°


Quand la cinquième est née, ma mère était plus grande ; elle a vu sa mère en train de l’étouffer avec la couverture, elle a dit : « Qu’est-ce que tu fais ? » et sa mère a répondu : « Je lui rends service, elle sera plus heureuse comme ça, j’aurais bien aimé que ma mère en fasse autant ! »
Nancy Huston, Cantique des plaines. Canada XX°

~ C’est un rappel de leur ancien amour de la mort, cette propension qui pendant tant d’années avait soudé les deux jeunes filles ensemble. […] Elles n’avaient pas demandé à vivre et leur intérêt pour la vie était feint et forcé. S’il fallait absolument vivre, elles souhaitaient le faire le plus rapidement possible et en avoir fini
~ Au-dessus d’elles flottent les voix d’une mère et de son fils qui passent la journée dans un appartement sordide. Le garçon émet des glapissements irrités. La mère l’imite avec sarcasme. Le garçon pousse un cri d’indignation. La mère le gifle. Le garçon hurle. Après un bref silence, la mère se met à chanter une berceuse en portugais. Lin fait demi-tour avec la poussette, s’éloignant le plus rapidement possible de cette scène où se mêlent lait et lynchage.
~ Lin sait que sa mère s’appelait Marilyn et que c’était une fugueuse. Elle s’était sauvée de la maison à l’âge de dix-sept ans parce que ses parents l’assommaient régulièrement avec des poêles à frire et des cannes de golf et des fusils de chasse. Elle avait volé une voiture alors qu’elle savait à peine conduire. […] Quinze jours plus tard elle était enceinte et quatre ans plus tard elle était morte.
~ L’eau est montée de plus en plus haut, la voiture s’est enfoncée de plus en plus bas, les enfants se sont débattus, ils ont commencé à s’étrangler et l’eau s’est précipitée dans leurs poumons, les remplissant complètement de sorte que les enfants n’avaient enfin plus de poids, oui, qu’ils étaient enfin affranchis des lois de la gravité. Non je ne veux pas cela, dit Isadora [Duncan], je n’ai pas voulu ces enfants morts, je ne peux pas les supporter, les porter à nouveau, comment faire pour danser désormais, comment tendre mes bras autrement que dans un geste de désolation ? Non non non non dit-elle, la seule vie qui existe c’est là-haut où vole l’esprit, libéré de cet abominable cauchemar de la matière…
~ La façon dont les femmes intelligentes se transforment en mères stupides.
~ Angela a les oreillons. Terrassée par la fièvre, elle a les joues écarlates et le regard flou. Derek téléphone à Theresa. Oui, elle pourra venir garder sa petite fille pendant la journée. L’estomac noué, Derek explique la prise des médicaments à sa femme de ménage. Angela, se dit-il en lui-même, pardonne-nous. Pardonne ta mère et moi. […] Il s’endort […] et rêve, comme il le fait chaque nuit ou presque, de feu. Des maisons en train de brûler, des quartiers entiers en flammes. Des enfants immobiles et calcinés, le visage barbouillé de noir. Des enfants vivants, blottis contre le corps de leur mère morte.
~ Janvier 1919 : Nijinski avait trente ans et, la terre s’étant récemment ouverte pour recevoir les corps de huit millions de jeunes hommes, il n’avait plus d’autre choix que d’accepter la pesanteur. Il faut faire des enfants pour avoir des soldats, écrivait-il, et on les tue tandis que la terre se couvre de cendres.
~ Tout le monde se plaint toujours des mères envahissantes, des mères manipulatrices, des mères étouffantes : moi, vous comprenez, je ne voulais pas être accusée de ces crimes-là. Je voulais que mes enfants soient forts, libres, indépendants. Voilà pourquoi je les ai quittés...
~ Comme ça d’abord tu nous pousses d’entre tes cuisses et ensuite tu nous repousses. J’ai besoin de danser – la danseuse qui a redécouvert le sol – eh bien mange-le, maman, vas-y, tu l’aimes tellement ce putain de sol, bouffe-le, mâche le parquet, t’es toute desséchée, maman, plus rien que de la chair de poule et des os de coq, une âme étiolée, remplie de sable et de limon et de fumée, oh tes flûtistes de bois soufflant dans les flûtes creuses du désert, tambour sec et guitare sèche, pince pince pince les cordes, arrache les plumes une à une — épines de cactus mexicains dans ton vagin – becs d’aigles piquant tes yeux – crânes blancs aux orbites béantes – aux dents qui claquent – soleil du désert réduisant la vie en cendres – laisse brûler les os – que tout le sang s'écoule – que la peau soit entièrement vidée – oui dessèche-toi maman – et brûle ! rangées rouges et sèches de falaises comme autant de dents – des dents maman – ça mord ! sa mort !
~ Isadora [Duncan] aurait-elle dû porter une écharpe plus courte ? murmure-t-elle enfin. Si elle l’avait fait, elle n’aurait pas été Isadora.
Au moins elle s’est étranglée elle-même, rétorque Marina. Alors que toi, c’est nous que tu as étranglées. Il aurait mieux valu le faire à la naissance et en avoir fini.
Nancy Huston, La virevolte. Canada XX°

Si, pour ma part, j’ai été frappée par les thèmes du temps et de l’anti-maternel chez Beauvoir, c’est que j’ai longtemps eu des obsessions identiques. Moi non plus, je ne voulais pas d’enfants ; c’est un choix qui fut mien et que j’ai défendu avec tant de fougue que je le respecterai toujours. La liberté plus grande du célibataire et surtout de la célibataire, en comparaison des gens mariés, est incontestable. Le temps dont elle dispose – pour travailler, voyager et s’instruire – est objectivement, quantitativement, plus important que le temps d’une mère.
Nancy Huston, Désirs et réalités. Canada XX°

~ Lys est morte. […] C’est moi qui l’ai vue la première, Robin, à sa naissance, et c’est moi qui l’ai trouvée morte. […] Elle s’était jetée du balcon de leur appartement au quatorzième étage et c’est moi qui l’ai trouvée, sans vie, dans la cour, en rentrant de l’hôpital à six heures du matin. […] De longues, de très longues minutes, Mme Armande [sage-femme de son état] était restée pétrifiée, sans respirer, à contempler le corps de cette enfant qu’elle avait vue à l’âge de zéro seconde : Lys Davidoff, sa voisine, l’élève privée de son fils Robin, jeune fille cloîtrée, mystérieuse et malicieuse, dont les prouesses au piano stupéfiaient depuis dix ans les habitants de l’immeuble… morte. […] Elle venait juste d’avoir dix-sept ans. Le dossier de Lys Davidoff était clos. Aucun autre événement ne serait inscrit dans son livret de famille. Aucune phrase de trois mots. Pas de mariage, pas d’enfants. Allez directement à la case Décès.
~ Pardonnez-leur, mon Père, car ils ne savent pas ce qu’ils font. Phrase qui s’applique à presque tous les parents, se dit Mme Armande, moi y compris. On n’a que très peu idée de ce que l’on fait.
~ Elle en a vu, des bébés morts, Mme Armande – morts en naissant, étranglés, étouffés, mort-nés, ou morts à l’âge de quelques semaines, d’être venus au monde trop tôt ou d’avoir contracté une maladie mortelle avant de naître.
~ Pardonnez-leur, ô mon Père, car ils ne savent pas ce qu’ils font. Ah... ah… la voilà qui vient enfin, l’adorable petite chose. Fille. Farida. Après l’avoir montrée à sa mère exsangue, Mme Armande la porte jusqu’au bloc pour l’examen. […] Oh mon Dieu, se dit Mme Armande. Ils ne savent pas ce qui les attend. Bonne chance, ma petite fille, bonne chance…
~ [Le bébé] regarde autour de lui d’un air surpris […], il reste là, dubitatif, comme s’il réservait son jugement pour plus tard… Le silence des nouveau-nés peut être sidérant. On a l’impression qu’ils se taisent non parce qu’ils ne savent pas parler mais parce qu’ils ont quelque chose à taire… Dans quelle eau faudrait-il les baptiser mon Dieu pour les protéger contre la bêtise des adultes ? Aucune eau n’est assez bénite, non, c’est la bêtise qui gagne toujours, presque toujours.
~ S’ils savaient ce qui les attend, les pauvres petiots ! poursuit-elle tout bas, arrivant place d’Alésia et contemplant les clochards endormis sur les bouches d’aération près de l’église. L’alcoolisme, la pauvreté, les contraintes, les coups, l’école, les instituteurs méchants, les camarades méchants, la peur, les cauchemars, le froid, la guerre… peut-être retourneraient-ils là d’où ils viennent.
~ Tous ont le regard de Lys à la naissance : étonnamment sûr et souverain. Puis leurs traits se figent et se durcissent, se font accusateurs : ce sont de minuscules magistrats sans complaisance, leurs yeux nous transpercent et nous jugent… Ils ont raison ; on l’a trahie, notre Lys, tous autant que nous sommes. O pardonnez-nous, les enfants, car on ne sait pas ce qu’on fait.
Nancy Huston, Visages de l’aube. Canada XXI°  

Les hommes artistes ont une tendance plus marquée encore que les hommes normaux à laisser leurs femmes s’occuper des enfants, alors si une femme veut sérieusement faire de l’art et ne pas se tuer ou devenir folle, elle optera le plus souvent contre la maternité.
Nancy Huston, Ames et corps. Canada XXI°

~ L’art en tant que tel, et peut-être surtout la littérature, est un refus du monde tel qu’il est, l’expression d’un manque ou d’un mal-être. Ceux qui sont bien dans leur peau, amoureux de la vie en général et satisfaits de la leur en particulier, n’ont aucun besoin d’inventer un univers parallèle par le truchement des mots. Bien des romans contemporains (dont les miens, me l’a-t-on assez dit !) peuvent être décrits comme sombres, pessimistes, noirs ou déprimants, sans pour autant être fondés sur les postulats du nihilisme. Voici, en résumé, ces postulats.
1. Elitisme et solipsisme. La plupart des êtres humains ne méritent pas le nom d’individu. Ils forment une masse homogène, grégaire, vulgaire, conformiste et bête. Ils s’agglutinent. Ils ont besoin les uns des autres, et pourtant ils se ressemblent. Ils pensent tous pareil et font tous la même chose : se marier (berk), faire des enfants (double berk), se distraire de façon idiote. Un vrai professeur de désespoir se sait différent de cette foule et se vit comme solitaire. […]
2. Dégoût du féminin assimilé à l’existence charnelle. C’est la mère qui nous « jette » dans le temps et dans le monde. La naissance, qu’on lui reproche, est la seule chose qu’on reconnaît avoir reçue d’elle. La femme entrave la liberté de l’homme. Marie et Eve, tentaculaire et tentatrice, maman et putain, elle profite de sa beauté pour entraîner l’homme dans son piège, le mener là où il ne veut pas aller, à savoir dans la reproduction, qui est écœurante parce qu’elle relève non de la volonté de l’individu mais de celle de l’espèce. […]
3. Mépris pour la vie terrestre. Il n’y a rien à tirer de l’existence sur la terre. Les activités du commun des mortels ont en réalité un seul but, qui est de se dissimuler la vérité épouvantable : solitude, mortalité, temps qui passe, chair qui pourrit, etc. […] On voudrait soit n’être jamais né, soit être déjà mort. On rêve de se supprimer ; en même temps, on a très peur de la mort et l’on aspire, par le truchement d’une œuvre spirituelle, à l’immortalité.
~ Je me sens qualifiée pour parler de l’oubli de l’enfant parce que j’ai moi-même été […] une enfant oubliée et que, des années durant, j’ai tout fait pour oublier mon enfance. Contrairement à ce que croient leurs enfants au départ, les parents ne sont pas des dieux : ils se trompent, parfois gravement, font un pas dans un sens puis dans l’autre, culpabilisent, se fourrent le doigt dans l’œil, se font mal l’un à l’autre, chacun à soi, et aux enfants, c’est inévitable, c’est ainsi. La famille : du bricolage permanent. C’est assez rare, en fait, que les parents soient prêts à devenir parents. Les miens ne l’étaient pas.
~ Le premier pas vers le néantisme est le fait de se rendre compte, à un jeune âge, qu’on n’est là ni par l’effet d’une intervention divine, ni même par celui d’un désir humain, mais par pur hasard, par accident, voire par erreur. […] Très tôt, pour ma part, j’ai senti que ma présence sur terre était une chose malcommode, que j’étais un empêchement, un obstacle, un poids… Et puis ce fut le cataclysme : quand j’avais six ans, ma mère est partie. Elle a changé non seulement de ville mais de continent. […] C’est le cœur battant que j’ai lu, à l’âge de quinze ans, mes premiers livres nihilistes… La Nausée, en m’identifiant à Roquentin qui vomit les familles. L’Etranger, en m’identifiant à Meursault que la mort de sa mère laisse de glace. […] Je me suis empiffrée du Rien, il m’a fait maigrir, j’ai voulu être plus maigre encore, squelette, ossements, néant. […] Mon plus proche complice est devenu le suicide, l’heureuse possibilité de me supprimer, de ne plus exister, de ne plus avoir à jouer au jeu du bonheur. […] C’est avec fringale que j’ai avalé les traités des négativistes ! Je me suis imprégnée de leur sagesse noire, j’ai ri de leur humour noir et laissé leurs rêves noirs envahir mes nuits et mes jours.
~ [Selon les professeurs de désespoir,] c’est une chose ignoble, mettre des enfants au monde. Il n’aurait pas fallu que les mères existent, qu’elles donnent la vie.
~ Je n’ai pas revu Miriam1 pendant longtemps. La fois suivante, c’était une jeune femme déjà, elle avait dix-huit ans et n’était plus lumineuse mais sombre, assombrie à un point inquiétant m’a-t-il semblé, elle me faisait penser à moi-même à son âge. Du reste (m’a dit sa mère quand Miriam s’est éloignée du jardin où nous prenions le thé ensemble), elle avait envie de devenir écrivain et avait déjà publié de petits textes. Ils étaient étranges, ces textes, un peu inquiétants… Mais c’est normal à son âge, nous sommes-nous dit, ça lui passera. Au lieu de lui passer, la noirceur s’est emparée de l’âme et du corps de Miriam, elle s’est éloignée de plus en plus du monde des mères, des tasses de thé et des bavardages, tout cela était devenu trop bas pour elle, elle n’aspirait plus qu’à vivre avec Cioran sur les cimes du désespoir, dans cet univers de pureté et de froidure à l’air raréfié, dénué de sentiments et autres formes de microbes. Du reste, ses écrits étaient pour l’essentiel, comme ceux de Cioran, des aphorismes : « Etre me gratte. Mais j’arracherai la croûte », écrivait-elle par exemple. « Mes battements de cœur me donnent des coups de couteau. » « Vue imprenable sur la mort. On ne verra, de l’extérieur, que la chambre vide. » […] « Il n’y a que la vérité qui nous sauverait, et la vérité tue. » […] Un jour, elle s’est approchée du balcon d’une fenêtre, à un étage élevé d’un immeuble parisien, et ce balcon elle l’a enjambé, elle l’a fait […], elle n’est plus.
~ Le « Non ! » de Kertész résonne d’un bout à l’autre de ce livre [Professeurs de désespoir]. C’est un « Non ! » proféré en amont, lancé par chacun des négativistes à la figure de son père, ou de sa mère, ou des deux : non il ne fallait pas me mettre au monde. […] C’est un « Non ! » lancé, ici et maintenant, à la figure de la personne qui pourrait vouloir l’épouser et fonder avec lui une famille : non vous ne m’entraînerez pas sur la pente glissante du sentiment, dans le piège abominable de la reproduction, de la transmission génétique. Et c’est également un « Non ! » lancé en aval, à la figure des enfants qu’il ne souhaite pas mettre au monde : non, petites bestioles grouillantes, vous ne m’aurez pas, je suis passé maître de la contraception et de l’avortement, pas question de me reproduire.
Nancy Huston, Professeurs de désespoir. Canada XXI°
1. Miriam Silesu, auteure du recueil Cinéraire, dont sont extraits les passages cités ci-dessus.

En ce qui concerne l’écologie et les changements climatiques, tout ce que je peux dire est qu’il n’y aura bientôt plus aucune tour d’ivoire si on ne fait pas quelque chose pour empêcher ça : elles seront emportées avec le reste. […] Nous sommes programmés pour avoir une vision cohérente du monde, des illusions rassurantes. […] Nous sommes plus optimistes que ne le justifie l’histoire. […] On pense que la vie vaut la peine d’être vécue. Regarder la réalité de notre mortalité en face gâcherait tout. Chacun doit donc décider jusqu’où il veut être au courant des horreurs. C’est le problème de Romain Gary et des gens qui ont des identités multiples : on se sent concerné par trop de choses. On comprend trop, on se met trop à la place des gens.
Nancy Huston, interview (Le Soir, 05 avril 2016). Canada XXI°


~ L’adoration de la Nature à la manière de Wordsworth a deux défauts principaux. Le premier est qu’elle est seulement possible dans un pays où la Nature a presque tout à fait été asservie à l'homme. La seconde est qu’elle seulement possible pour ceux qui sont prêts à falsifier les intuitions immédiates qu’ils ont de la Nature. Car la Nature, même dans la zone tempérée, est toujours étrangère, inhumaine, et occasionnellement diabolique.
~ L’unité absolue est le néant absolu : la perfection homogène, comme les Hindous l’ont perçu et courageusement reconnu, est équivalente à la non-existence, est le Nirvana. L’idée chrétienne d’un paradis parfait qui est quelque chose d’autre qu’une non-existence est une contradiction dans les termes.
Aldous Huxley, Wordsworth in the Tropics. Angleterre XX°

Dans le Meilleur des mondes de ma fable, le problème du rapport entre le nombre des humains et les ressources naturelles avait été résolu : un chiffre optimum ayant été calculé pour la population mondiale (un peu inférieur à deux milliards, si mes souvenirs sont exacts), il était maintenu, génération après génération. Dans le monde contemporain réel, le problème de la population n’a pas été résolu. Au contraire, il devient plus grave et plus redoutable avec chaque année qui passe et c’est dans ce sinistre décor biologique que se jouent tous les drames politiques, économiques, culturels et psychologiques de notre époque.
Aldous Huxley, Retour au meilleur des mondes. Angleterre XX°

C’étaient de bons Bouddhistes, et tout bon Bouddhiste sait que la procréation est simplement un assassinat postposé. Faites de votre mieux pour descendre de la Roue de la Naissance et de la Mort, et, pour l’amour du ciel, ne faites pas monter d’inutiles victimes sur la Roue. Pour un bon Bouddhiste, le contrôle des naissances fait sens d’un point de vue métaphysique.
Aldous Huxley, Island. Angleterre XX°


~ C’est une lâcheté lorsqu’on n’a pas de fortune que d’enfanter des mioches ! C’est les vouer au mépris des autres quand ils seront grands ; c’est les jeter dans une dégoûtante lutte, sans défense et sans armes ; c’est persécuter et châtier des innocents à qui l’on impose de recommencer la misérable vie de leur père.
~ Il embrassa d’un coup d'œil l’horizon désolé de la vie ; il comprit l’inutilité des changements de routes, la stérilité des élans et des efforts ; « il faut se laisser aller à vau-l’eau ; Schopenhauer a raison, se dit-il, « la vie de l’homme oscille comme un pendule entre la douleur et l’ennui ». Aussi n’est-ce point la peine de tenter d’accélérer ou de retarder la marche du balancier ; il n’y a qu’à se croiser les bras et à tâcher de dormir.
Joris-Karl Huysmans, A vau-l’eau. France XIX°

~ Schopenhauer était plus exact ; sa doctrine et celle de l’Eglise partaient d’un point de vue commun ; lui aussi se basait sur l’iniquité et sur la turpitude du monde, lui aussi jetait avec l’Imitation de Notre-Seigneur, cette clameur douloureuse : « C’est vraiment une misère que de vivre sur la terre ! » […] Loin de s’essayer à justifier, ainsi que l’Eglise, la nécessité des tourments et des épreuves, il s’écriait, dans sa miséricorde indignée : « Si un Dieu a fait ce monde, je n’aimerais pas à être ce Dieu ; la misère du monde me déchirerait le cœur. »
~ Devant l’acharnement de ces méchants mômes, il songea à la cruelle et abominable loi de la lutte pour l’existence, et bien que ces enfants fussent ignobles, il ne put s’empêcher de s’intéresser à leur sort et de croire que mieux eût valu pour eux que leur mère n’eût point mis bas.
~ Quelle folie que de procréer des gosses !
~ Ah ! si jamais, au nom de la pitié, l’inutile procréation devait être abolie, c’était maintenant !
Joris-Karl Huysmans, A rebours. France XIX°


~ Nous avons été jetés de force dans l’existence, alors même qu’on ne nous a pas demandés si nous voulions naître, et que nous n’avons pas consenti à cela. […] Sans une ombre de culpabilité, nos parents nous ont fait naître tout en sachant très bien que chaque être humain meurt. […] Mais pourquoi se reproduire alors que les vivants ne font qu’endurer d’affreux tourments pendant des décennies, et sont promis à mourir ? Se reproduire pour exploiter un animal de compagnie à forme humaine ? Se reproduire pour fournir un frère ou une sœur ? Se reproduire pour exploiter son enfant comme une assurance-pension pour ses vieux jours ? Se reproduire comme on fait un investissement ? Se reproduire pour perpétuer les gènes et le nom de famille ? Se reproduire pour faire du lavage de cerveau avec votre religion ou votre idéologie ? Se reproduire pour perpétuer la tribu, la nation ou l’espèce humaine ? Se reproduire parce que le sexe avec un préservatif est moins agréable ? Se reproduire parce que la contraception est contraignante ? Se reproduire parce que l’avortement est incommode ? Se reproduire sans aucune raison ?  N’est-il pas égoïste de se reproduire pour des raisons aussi frivoles, ou sans aucune raison ? […]
~ Une personne potentielle qui ne naît pas ne mourra jamais. La vie éternelle est impossible, mais l’immortalité est possible en ne venant pas à l’existence. Bien sûr, nous sommes déjà nés, il est trop tard pour nous. Mais nous pouvons empêcher que nos descendants potentiels soient condamnés à vivre, et donc condamnés à mort.
~ La procréation est la racine de tout mal. S’il n’y avait pas de procréation, il n’y aurait pas de mort, pas de guerre, pas de massacres, pas de cancers, pas de paludisme, pas de SIDA/VIH, pas de crise des réfugiés, pas de mutilations génitales féminines, pas de viols ni de nombreuses violations des droits de l’homme. S’il n’y avait pas de procréation, Hitler, Staline, Mao ne seraient jamais venus à l’existence, et aucune personne ne serait morte sous leurs régimes.
~ Nous devrions faire face à la vérité. Nous avons le devoir de ne pas faire exister une personne potentielle qui souffrira si elle vient au monde.
Jiwoon Hwang alias Anti Procreation, Procreation is Murder: The Case for Voluntary Human Extinction. Corée du Sud XXI°


Donne ta grâce, ô mère !
Vers moi tourne ta face,
Car je suis sans recours
Et ne veux point renaître !
Hymne à Kâlî. Inde circa XVII°


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